Avertissement ! La critique qui suit concerne la version-surprise du dernier moyen métrage de Gaspar Noé présentée en séance spéciale à la XXVIème édition de l’Étrange Festival de l'année 2020 ; elle explore notamment les quinze premières minutes dudit programme qui - visiblement - constituent un court métrage indépendant de Lux Æterna intitulé The Art of Filmmaking . Nous déconseillons vivement aux lecteurs de ces lignes vierges de toute image de poursuivre le texte qui se présente ici et maintenant, les invitant fortement à découvrir et à éprouver le film sus-cité au préalable...
Lux Æterna + The Art of Filmmaking ou la sorcellerie à travers les images... Incarné par Béatrice et Charlotte, incanté par Gaspar et hérité de Carl, de Rainer et de Jean-Luc - entre autres choses. 67 minutes de pure(s) texture(s) visuelle(s), amorcées par un segment essentiellement stroboscopique revisitant un incunable filmique réalisé par Cecil B. DeMille et préfacé d'une citation de Dostoïevski prônant les chocs épileptiques comme autant d'extases instantanées. Quinze minutes de formes multicolores au diapason d'une bande sonore gutturale, évoquant directement les travaux expérimentaux de Paul Sharits ; distorsions visuelles et acoustiques, agression permanente suscitant l'altération des consciences cinéphiles : bienvenue dans The Art of Filmmaking, mise en abyme psychédélique des magies noires et blanches du Tout-Septième Art, projet arty et dernière proposition de cinéma du réalisateur de Love et de Climax...
Film plastiquement ahurissant et de forme tour à tour composite et très aboutie Lux Æterna est un objet étrangement théorique, jouant de sublime et de grotesque dans le même mouvement d'agitation violente et turgescente. Gaspar met en abyme le cinéma et ses moyens, nous plongeant sans ambages dans le tournage d'un curieux film de sorcières parasité par les frasques et les humeurs d'une Béatrice plus caractérielle que jamais ; à ses côtés Charlotte, prise sous son aile de corbeau, joue superbement de sa retenue tout en rappelant de manière évidente ses apparitions répétées chez notre bon vieux Lars. Multipliant les formats, les supports et les registres ledit moyen métrage use de ses points de vue avec une virtuosité quasiment inespérée : tout, dans ce faux-making of acidulé, n'est que pure et simple comédie littéralement mise en scène et - de fait - forcément re-présentée.
Béatrice est étonnante, à la fois excessive mais souvent juste, dirigeant avec impulsivité son tournage dérapant pas à pas vers le chaos-maître ; Charlotte, joliment réservée, est comme toujours incroyable de naturel. Gaspar perpétue l'héritage kubrickien en nous servant pléthore de passages obligés du grand répertoire musical ( Mahler et son Adagietto lyrique, Saint-Saëns et son Carnaval animalier, Haendel et sa célèbre Sarabande, Verdi et son tonitruant Requiem...). Non exempt de défauts ni de maladresses Lux Æterna brille de ses nombreuses aspérités et de ses formes anguleuses, de son incessante science du cadre et de sa débordante énergie. Nouveau film-collectif celui-ci prolonge le vacarme spectaculaire du précédent Climax, chef d'oeuvre explorant avec une finesse inattendue les affres de l'hystérie groupale. Une expérience définitive.