Le film décrit un monde profondément dysfonctionnel. L'entreprise de jouet FUNKI s'apprête à livrer au monde entier un compagnon robot à destination des enfants, baptisé M3GAN, à l'effigie d'une petite fille. Aucune autorité ne vérifie l'impact sur les enfants avant d'autoriser la mise sur le marché. Nous sommes dans un libéralisme économique qui nous mène vraisemblablement tout droit à notre perte et je ne sais pas si les créateurs du film ont pleinement conscience des leçons que l'on peut tirer de leur histoire.
Car ce robot est néfaste à plus d'un titre. Il parle d'abord d'intelligence artificielle ; comment celle-ci, appliquée à des androïdes, peut générer des émotions positives chez l'humain dont il s'occupe. Car on peut apprendre à un robot à montrer de la compassion, à écouter, à figurer l'empathie. Un robot peut nous faire du bien. Mais ce robot apprend et évolue tout seul, c'est d'ailleurs là la vraie force de l'I.A. : elle ne se contente pas de réciter ce qu'on lui a appris, elle développe de nouvelles compétences. À quel point cet apprentissage peut-il être borné ? À quel point peut-on s'assurer que l'I.A. respectera les limites qu'on lui impose ? Est-on assez compétent pour cela ? L'héroïne est loin d'avoir pensé à tout, et finit par s'en rendre compte. Elle illustre notre imperfection d'humain. Mais elle est libre de faire ce qu'elle veut, elle n'a aucun garde-fou : c'est le principe du libéralisme.
Le robot est néfaste aussi en ce qu'il enferme son utilisateur dans une bulle où son interlocuteur va toujours dans son sens. Cady, l'enfant à qui l'on attribue M3GAN, pique des colères terribles quand elle se retrouve confrontée à un « non » de sa tutrice, à l'absence de son robot qui l'approuve dans tout ce qu'elle fait. Au-delà de l'empêcher de faire l'expérience de la frustration, cela bloque aussi son processus de deuil (elle perd ses parents au début du film), puisque M3GAN la « distrait » en permanence – exactement comme le font nos smartphones et les nouvelles technologies hyper connectées en général, soit dit en passant.
Et puis le film met quand même en scène un monde qui permet la commercialisation d'un compagnon robot, à usage des enfants, programmé par une femme... déterminée elle-même à ne PAS s'occuper de son enfant. Sous les traits sympathiques d'Allison Williams, la conceptrice de robot dit quasiment texto que M3GAN lui permet de s'épargner l'éducation de sa pupille afin de pouvoir se consacrer à ce qui compte vraiment : aller sur son ordi et regarder la télé (!!!). Qu'une personne n'ayant pas la moindre notion de comment éduquer un enfant (« limite de temps d'écran ? c'est quoi ? ») puisse être en charge du nouveau jouet destiné à faire un carton, me semble à la fois tristement vraisemblable et un autre symptôme d'un monde malade.
Le film M3GAN dépeint une défaillance grave de notre société à de multiples niveaux. On laisse des capitalistes n'ayant pas une traître idée de ce qui est bon pour nous, façonner notre monde et notre art de vivre. Je ne sais pas à quoi ressemblera le monde dans quelques années ni ce que l'on mettra entre les mains de nos enfants, dans le contexte du développement de l'intelligence artificielle. Peut-être qu'une crise majeure des ressources nous épargnera un encore plus sinistre futur. Dans tous les cas : nous aurons été prévenus.