Suis-je bizarre de ne pas aimer the last of us, de ne pas avoir été pris, emporté, touché ou même franchement amusé ? C'est frustrant de voir un jeu porté aux nues par la critique et s'en sentir aussi loin soi-même. Au-delà de savoir pourquoi le jeu a autant plu aux autres, je vais essayer de formuler pourquoi il n'a pas marché sur moi.
Je crois que le sujet le plus passionnant dont je peux parler c'est l'histoire et les personnages. Je n'ai pas été embarqué par cette histoire. Je n'ai pas aimé les personnages, pas ressenti de suspens sauf à quelques occasions. Pourtant c'est vraiment LE point sur lequel le jeu a été encensé.
Je me suis souvent demandé pourquoi je n'accroche pas à Joel. Après y avoir longuement réfléchi, je pense que je peux isoler ces éléments de réponse :
- physiquement Joel est un grand brun baraqué qui fait la tronche. Il correspond à un stéréotype macho de la masculinité dans lequel je ne me reconnais pas.
- je pense que Joel n'a pas d'enjeu véritable dans toute l'histoire de the last of us, sauf dans le dernier niveau où il veut sauver Ellie pour lui-même. C'est-à-dire qu'il est lancé dans une escorte de jeune fille pour récupérer ses armes, ce qui devrait lui permettre de continuer à survivre plus aisément. Seulement Joel ne semble pas valoriser plus que ça son existence, de telle sorte que le fait de chercher à récupérer ses armes est plus une activité "faute de mieux" qu'un véritable impératif. Pas de tension de ce côté-là pour le personnage ; qui se dit que ce sera la fin de Joel s'il ne récupère pas ses armes, ou que cela l'embêtera réellement ? Ensuite on pourrait dire que l'enjeu de Joel est de protéger Ellie... Oui, mais pour récupérer ses armes. Jusque tard dans le jeu, Joel traite Ellie comme un boulet, refuse de se lier à elle, ne semble pas prendre de plaisir à être avec elle. Dans le niveau de l'hôpital à la fin là oui Joel veut récupérer Ellie. Mais pendant tout le jeu, Ellie n'est pas spécialement en danger aux côtés de Joel. Et le nihilisme de Joel l'empêche de réellement se préoccuper de l'avenir de l'humanité. Il y a la promesse faite à Tess, oui... Sauf qu'à ce moment-là, Joel étant seul, la meilleure façon de survivre c'est aussi de poursuivre le deal avec les lucioles. On ne saura pas la profondeur de l'importance pour Joel de respecter le souhait de Tess. Résultat, je n'ai quasiment jamais senti Joel investi par sa mission. J'avais l'impression de diriger un gars qui faisait ce qu'il faisait faute de meilleure chose à faire. Un type blasé qui s'en fiche de tout. Ce qui n'est pas un problème dans une introduction d'histoire, le devient quand pendant tout le jeu (sauf à la fin) le personnage reste dans cet état. Le cinéma est rempli d'histoires de blasés magnifiques qui vont se transcender par une mission humaniste, de justice ou une grande histoire d'amour. Pour moi cela n'arrive jamais à Joel. Je pourrais même dire que le niveau de l'hôpital montre Joel se fermer définitivement aux autres et au monde, en se lançant dans une entreprise quasi génocidaire qu'il se destine à cacher à toutes et à tous - et surtout à Ellie. La scène ultime avec Ellie dans l'herbe laisse planer l'ambiguïté d'un franc déni de réalité, où Joel prend limite Ellie pour sa fille. Mais cette "chute" du personnage de Joel dans la folie et le nihilisme le plus sombre n'est pas amené par le jeu et son histoire. Les péripéties dans chaque ville traversée ne nous amènent pas vers cet ultime enfermement du personnage sur lui-même. De mon point de vue, l'histoire de the last of us n'a donc ni queue ni tête : des péripéties vécues à moitié par un personnage qui s'en fiche, pour terminer par une espèce de pétage de plomb du protagoniste, malheureusement banalisé lui aussi par la violence générale du jeu et notamment de tous les personnages non jouables hors cast (soit les ennemis du jeu surtout).
- la définition psychologique du personnage et ses enjeux internes manquent de relief, de piquant. J'ai l'impression que la vie intérieure du personnage se limite à la douleur (contenue, c'est un homme...) d'avoir perdu sa fille. Or cela me semble aussi personnel et signifiant que le mal au ventre pour un affamé. Regardez Rick dans la série télé the walking dead. Dès le premier épisode celui-ci se plaint à son coéquipier Shane de sa relation avec sa femme, qui lui reproche de ne pas assez communiquer. Et Rick dit par rapport à ça qu'il a "l'impression d'être le mec le plus renfermé au monde" quand il est avec Lori. Ce n'est pas rien quand même. Ca ne va pas avec sa femme et en plus ça le fait se remettre en question. A partir de là on sait que ce Rick, les péripéties à venir il les vivra avec son corps mais aussi avec sa sensibilité unique. Je n'ai pas trouvé de sensibilité chez Joel ; juste un énième personnage masculin qui ne parle pas, fait la gueule, se comporte comme un connard et on est censé le plaindre parce que tu comprends, il a perdu sa petite fille et il souffre tellement à l'intérieur : ben non justement je ne comprends pas. C'est le cas typique où il semble que le background du personnage est censé se substituer à la représentation de ses émotions : s'il a perdu sa fille, alors évidemment il est touché / bouleversé / traumatisé, pas besoin de le montrer. Et bien pour moi, si. En l'état, pardon mais Joel j'ai trouvé que c'était un con, un type ennuyeux, pas intéressant voire méprisable.
- Je n'ai pas accroché à Ellie non plus. J'ai trouvé qu'elle manquait elle aussi de sensibilité. Son humour blasé-absurde à la Juno ne me la rend pas attachante, il semble que rien ne l'atteint. C'est quelqu'un de très fort. Son enjeu à elle ? Sauver l'humanité via la création d'un vaccin à partir de son sang (elle ne sait pas que cela doit la tuer pendant le jeu, du moins je ne me rappelle plus de cela), parce que c'est le right thing to do. Elle accepte Joel malgré le fait qu'il repousse son affection régulièrement. Elle aussi manque de vie et de piquant. Joel, elle devrait l'emmerder bien plus, le titiller en permanence. Au lieu de ça Ellie caresse les girafes... Voilà. Comme n'importe quelle autre jeune fille née dans ce monde qui en verrait en liberté pour la première fois. Caractérisation du personnage : émerveillée par une girafe.
Que dire de plus sur l'histoire... C'est LE point sur lequel je suis en profond désaccord avec les critiques. Et ce qui est le plus difficile à analyser. Je n'ai pas aimé ce parti pris du jeu, dans son ton, de rester dans du sobre qui se voudrait hyper significatif. C'est de la fausse sobriété. De la fausse finesse. Le jeu fait mine de traiter les choses avec pudeur, mais ne traite finalement rien avec ses personnages à une dimension et ses péripéties impersonnelles. C'est très frustrant de voir une histoire aussi creuse remporter autant de lauriers de la part à la fois des professionnels et des joueurs.
La partie ludique a elle aussi ses défauts, sans être foncièrement meilleure ou pire que les autres jeux d'action "mixtes" (bourrin versus infiltration) de la génération : deus ex human revolution par exemple. Je cite quand même ces problèmes qui m'ont marqué et ont accentué en moi ce sentiment d'injustice par rapport à la réception dithyrambique du jeu :
- l'intelligence artificielle. Plusieurs fois dans une arène j'ai pu tuer un ennemi dans une pièce, pour ensuite n'avoir qu'à attendre patiemment que CHAQUE ennemi restant vienne voir ce qui se passe et ainsi les étrangler one by one sans utiliser mes ressources.
- le level design pousse à un die'n'retry que j'ai trouvé pénible. En effet, il me semble impossible d'arriver du premier coup à survivre jusqu'à la sortie d'une arène sans trop utiliser de ressources. Parce que les ennemis sont très nombreux (une bonne quinzaine facilement), que l'agencement des couloirs est labyrinthique, que l'on n'a pas connaissance de l'emplacement de la sortie et qu'enfin les affrontements ne sont pas une science exacte (la chance, la visée et les réflexes revêtent sans doute une importance un peu trop capitale pour s'en sortir à bon compte). Notez qu'on peut s'en sortir, mais en ayant le sentiment d'avoir gâché trop de ressources - munitions, soins - pour continuer sereinement l'aventure. Dans ce cas on est amené à relancer l'arène via le menu pause. Je suis toujours partagé sur cette pratique, car si elle part d'une prudence qui s'avère salutaire dans certaines parties, sa légitimité est diminuée par la façon qu'a le jeu de déterminer ce qu'on trouve sur les cadavres de nos ennemis...
- en effet il y a un gros problème de logique concernant le loot sur les ennemis tués. Si les ennemis armés semblent bénéficier de munitions infinies (ils nous tirent dessus indéfiniment) - ce qui en soit pose un problème de cohérence dans l'univers du jeu (tout comme l'espèce de tank qui nous poursuit à un moment en nous arrosant copieusement à la mitrailleuse lourde alors que les munitions sont censées se raréfier, bref...) - une fois qu'on les tue et qu'on va fouiller leur cadavre, on ne trouve... rien ? Ou une, deux balles ? De même, parfois un ennemi sans arme laissera des balles sur son cadavre... Plus tard j'ai compris que le jeu détermine les objets laissés par les ennemis en fonction de l'état de nos réserves. En clair, si on dépense peu de munitions, on en trouvera moins. Au contraire, si on en dépense plus, on en récupérera plus sur les cadavres, qu'ils nous aient attaqué ou non à l'arme à feu auparavant. Cela partait certainement d'une bonne intention de la part des développeurs (nous garder dans tous les cas dans un état de réserve "moyen"). Seulement quand on s'en rend compte, cela sort considérablement du trip. On se met à penser notre jeu avec cette règle extra-diégétique en tête. En ajoutant à cela le constat que les ennemis disposent de munitions infinies puis plus rien soudainement quand on les pille, le regard du joueur sur la gestion des stocks de munitions dans le jeu est problématique.
- je l'ai déjà dit mais vraiment tous les personnages hors main cast sont des brutes épaisses qui tuent avant de parler. Cela abêtit les séquences de jeu où il n'est jamais possible d'aborder un groupe tranquillement sans se faire tuer direct.
- en permanence on a des pièces d'armes et objets d'amélioration à chercher dans les décors, qui se cachent n'importe où. C'est très fatiguant car si on ne veut pas progresser en ayant le sentiment de rater plein de choses, on doit ratisser des yeux chaque paroi et faire longer les murs son personnage à la recherche d'un prompt de la touche triangle nous invitant à interagir avec un élément du décor que l'on ne peut pas anticiper comme "actionnable" sans s'en approcher. J'aurais préféré devoir simplement chercher des garages pour récupérer des pièces, ou des pharmacies de salle de bain pour des médicaments. Le fait de pouvoir avoir de tout n'importe où rend la recherche laborieuse.
- les médaillons à collectionner, durs à trouver, sont devenus désespérants au moment où j'ai réalisé qu'ils pouvaient être suspendus en l'air sur un élément du décor, attendant d'être décrochés par un tir d'arme à feu. Multipliant de façon exponentielle la surface à inspecter...
J'ai terminé le jeu deux fois, sans mode écoute à chaque fois, en mode réaliste la seconde. Ce mode est un peu plus dur que le précédent, "survivant", mais dans la même veine. The last of us reste pour moi une grosse frustration de par sa réception par la critique et le public, que je suis à l'opposé de partager. Comme beaucoup de jeux à gros budgets, d'un strict point de vue ludique le jeu est d'une certaine efficacité qui permet de le parcourir facilement. Seulement son écriture m'a particulièrement agacé, tout comme ses mécaniques de jeu par trop souvent incohérentes par rapport à l'univers ou bien juste pénibles (les arènes, la recherche des objets dans le décor).