Déjà auréolé du Grand Prix du Jury en 1999 et 2006 pour respectivement « L’humanité » et « Flandres », il revient en compétition, cette année sur la Croisette, avec « Ma Loute ». Après avoir été présent en 2011 avec « Hors Satan » dans la catégorie « Un certain regard », en 2014, Bruno Dumont revenait à Cannes avec la série « P’tit Quinquin » (une commande d’Arte et format inhabituel pour un réalisateur de long métrage) dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs. Tout comme pour cette série improbable « Ma Loute », en compétition officielle cette année, a ses fervents admirateurs et ses ardents détracteurs. « C’est vaseux dans la baie » ! Voici donc mes 5 raisons pour le voir. « Mais non, mais non ! » « Mais si, mais si ».
Raison n° 1 : « La quintessence de la beauté »
L’action se déroule sur les plages du Nord, dans la baie de la Slack, que Bruno Dumont connait depuis son enfance. Ambleteuse est donc le théâtre de cette fiction burlesque, Wissant apporte quant à elle le Typhonium, cette villa de style égyptien ptolémaïque « en marbre des carrières de Marquise » tout en ciment. L’intérieur a été emprunté au château d’Hardelot. Bref de beaux paysages, de beaux décors qui vous pousseront à faire un peu de tourisme en allant sur la côte d’Opale.
Raison n° 2 : « Cessez ce je(u) odieux »
Les 3 acteurs les plus connus surprennent par leur jeu si peu attendu. Valeria Bruni-Tedeschi si volubile devient une Isabelle Van Peteghem, introvertie, discrète : le réalisateur a bridé sa verve en lui proposant un corset qui l’enserrait dans son personnage. Juliette Binoche campe Aude Van Peteghem, sorte de croisement entre Sarah Bernard et « Madame Foldingue ». Tout est dans la démesure, l’excès. « Parfois des champignons poussent ». Bruno Dumont a taillé un véritable costume à Fabrice Luchini, loin du « sur mesure » (un peu bossu même) mais dans l’essence, la substantifique moelle de l’acteur fantasque : les attitudes grinçantes (au sens propre), l’intonation ridiculement culte « oui-sssse-kiiiiii » à l’heure de « l’apéri, l’apéri, l’apéritif ». Et comme je l’ai lu dans les Inrock, ils se sont bien faits « dumonter ».
Raison n° 3 : « Mon ami Machin ! »
Le casting se complète par des non-professionnels : le duo policier « l’inspecteur Machin et son aide de camp Malfoy » (Didier Desprès, Cyril Rigaux) étrange mélange de Laurel et Hardy et des Dupont-Dupond, la mère Brufort l’étrange cuisinière (Caroline Carbonnier) et son mari « l’Eternel » tout aussi étrange passeur d’une rive à l’autre (Thierry Lavieville) , leur fils « Ma Loute » (Brandon Lavieville) l’étrange garçon à instinct animal, Billie Van Peteghem (Raph) l’étrange garçon habillé en fille ... ou le contraire... Beaucoup d’étrangetés parmi ces personnages qui couinent, qui marmonnent, qui incarnent la démesure sans mesure.
Raison n° 4 : « Tout pousse André ! Tout pousse ! »
Bruno Dumont pousse, haut et fort, le burlesque ... un peu comme la glycine « elle fait plus de 2 mètres ». Culbutes, chutes et glissades côtoient l’élévation qu’elle soit mystique ou maladive. La lutte des classes, façon Dumont, est grinçante et l’on « bouffe » du bourgeois au déjeuner, cette bourgeoisie, dégénérée « fin de race », chantre de « l’entre-soi » (« C’est le monde moderne, c’est le capitalisme ! »). C’est l’excès dans tout qui donne le ton, la force.
Raison n° 5 : « A force de voir, on ne voit plus »
J’ai visionné ce film dans 2 salles différentes, 2 villes différentes, 2 publics différents, 2 ambiances différentes. Si dans l’une, un samedi soir la phrase « Il y en a des grosses, des petites, des moyennes, des longues... » a déclenché l’hilarité, dans l’autre, un jeudi soir, rien ! « Pêchez en paix, morues et maquereaux... » a eu le même « succès ». Ce qui fait rire les uns peut donc laisser insensible les autres : c’est le propre de l’humour. Il faut donc l’essayer pour savoir.
Tout comme « on ne perd pas une ombrelle comme on perd un gant », faites-vous votre propre idée en allant voir ce film.
Pour Scarpe Ciné