Bien que je ne puisse pas comparer "Ma Loute" à "Ptit Quinquin", n'ayant toujours pas vu la mini-série de Dumont, le peu que j'en sais me laisse penser qu'il ya une grande filiation. Le Nord, l'accent chti et il me semble que quelques acteurs aient fait la navette (notamment l’obèse enquêteur). Mais combien même ce ne serait pas le cas celui-ci se suffit amplement à lui-même. On a reproché à l'auteur de "Flandres" et de "Camille Claudel 1915" sa caricature grossière du Pas-de-Calais, il m'est d'avis de penser qu'on lui fait la un mauvais procès d'intention.
On a certes droit à des personnages du coin malfaisants et aux trognes patibulaires, de sorte que le cannibalisme qui les caractérisent puissent faire penser à un affront pour qui habite la région. Mais en fait de schématisme facile c'est au contraire un portrait au vitriol du prolétariat construisant sa propre hégémonie sur la Bourgeoisie D'Avant-Guerre crasse et méchante. En effet il faut lire cette confrontation malpolie et cinglante comme un pied de nez grandiloquent à l'imagerie faussée des ouvriers inconscients et incapables dans l'ère pré-industrielle. Ici des marins solitaires et taciturnes s'approprient la boucherie de 14-18 avant l'heure (nous sommes en 1910) pour signifier la conscience sociale d'un Petit Peuple délaissé par le Gouvernement D'Aristide Briand. C'est la Lutte des Classes rondement menée sous l'égide de la comédie outrancière et un règlement de compte à peine voilé aux Précieuses Ridicules d'une simili Monarchie prétentieuse et faussement ecclésiastique.
Il faut se réjouir qu'une telle proposition de cinéma ait été choisie pour concourir à la plus prestigieuse récompense. On pouvait penser que le cinéaste lillois eut du faire preuve de lest pour mieux amadouer Thierry Frémaux et Pierre Lescure, que nenni! s'il tente une approche un peu plus populaire par le bais du rire, il n'en oublie pas que son attrait se situe dans la radicalité la plus absolue. Le non-sens du films, ses cadres étirés et fixes sur les visages et les paysages marécageux, sa propension à provoquer l'effarement autant que le malaise sont bien la preuve d'une véritable audace. Inclassable le résultat l'est assurément puisqu'on se sait comment définir cet objet précieux: Farce grotesque, satire biblique, oeuvre vampirique et bien d'autres encore. S'y mêle l'androgynie sexuelle autant que la consanguinité outrancière, la fable Maupassienne et l’enquête accessoire, la veulerie insupportable et l'ironie mordante.
D'aucuns lui reprocheront justement ce trop-plein, cette vitalité débordante, cette quête du gag absolu et de la répétition manichéenne. Il pourrait lui être intenté un procès de la surenchère et un tropisme jusqu'au boutiste vain. Nous pouvons l'entendre et le comprendre, tant il est inhabituel de ne pas savoir à quoi se raccrocher comme tel est le cas. Mais ces justes réserves ne peuvent pas grand chose face au brio de l'entreprise. Le comble revient à la double lecture que l'on peut en avoir. Conte machiavélique comme évoqué, mais surtout un énorme doigt d'honneur à l’intelligentsia de la Haute Cinéphilie Française. Quel réjouissant jeux de massacre que la pantomime effectuée par des comédiens qui acceptent gaillardement de se faire triturer dans tous les sens. Qui plus est par la fine fleur d'acteurs laissées en roue libre, et qui semblent s'en donner à cœur-joie.
A l'instar de leurs collègues américains Juliette Binoche, Fabrice Luchini et Valéria-Bruni-Tedeschi mettent allègrement leurs égaux sur le pas de la porte et participent de plein gré à l'abhorration que Dumont ressent à leur encontre. Lui appuie ses tics biens connus dans une démonstration furieuse de burlesque incroyable: du Luchini dans toute sa splendeur! la première se vautre avec voracité dans une caricature Lady endimanchée: réjouissant au plus haut point. Quand à Bruni-Tedeschi elle joue tellement de son image d'aristo coincée que l'on ne sait plus si elle joue ou si elle se laisse porter par la mise en scène. N'étaient la longueur déséquilibrée sur la fin et les quelques réserves mentionnées plus haut, un vrai pavé dans la mare du petit conformisme!