Ce film fait partie de la série de 6 films intitulés contes morales, réalisés entre 1962 et 1972. Ma nuit chez Maud, troisième épisode de la série, mais quatrième tournés, reprend le schéma narratif qui constitue l'ensemble des films des contes moraux, c'est-à dire un homme qui cherchant à séduire une femme, se retrouve attiré par une autre femme, créant ainsi un problème moral chez l'homme. Dans celui-ci, c'est Louis Trintignant, jouant un catholique pratiquant qui aperçois une femme à l'église, et souhaite l'épouser, qui sera confronté à Maud chez qui il passera une nuit. Rohmer, catholique, imprègne le film d'un discours théologiques et philosophiques prenant appui sur Pascal, et surtout sur son parie. Ce parie nous dit que, d'une part nous pouvons croire en dieux et mener une vie en conséquence permettant d'avoir un gain infini, ou alors ne pas y croire et perdre la possibilité d'aller au Paradis, ce qui entraîne une très grande perte pour la personne. Ainsi, le fait de croire en Dieux devient raisonnable. Bref, les personnages du films ne cessent d'en discuter, et Jean louis, personnage interprété par Trintignant, s'oppose en partie à cette conception. Pour lui, Pascal sacrifie la vie, les plaisirs de la vie, comme il le dit chez Maud, il aime ce qui est bon, et ne pas dire bon ce qui l'est est un mal en soit. La religion est donc au centre de ce conte moral, l'imprégnant dans tous les recoins, et poussant même Rohmer à filmer une réelle messe.
Cette volonté de documentariste mise en avant par Rohmer est caractéristique de la nouvelle vague. Ce mouvement cinématographique français, née dans la fin des années 50, met en avant le réel, la volonté de montrer le monde dans ses évolutions, tout en révolutionnant les figures classiques du cinéma (Les jumps cuts chez Godard, le documentaire lyrique de Chris Marker, la voix off de Cléo de 5 à 7). Aussi, ce mouvement est intimement lié à la conception du cinéma développé par les « jeunes turcs » dans les cahiers du cinéma, alors crées une petite dizaine d'années auparavant.
Revenons à Ma nuit chez Maud et au cinéma Rohmériens. La mise en scène de Rohmer est très précises, chaque plan est préparé à l'avance, et ne laisse que très peu de place à l'improvisation pour l'acteur et à la création de nouveau plan durant le tournage. Mais pourtant, cette précisions dans la mise en scène, accompagnés par un manque d'indication dans la direction d'acteurs permet à Rohmer, comme le montre Antoine de Baecque dans sa biographie, de créer une toile dans lesquelles ses interprètes se font piéger à leurs insus, les faisant devenir les personnages, et Rohmer d'adapter les personnages aux acteurs. Ainsi émanent du film si ce n'est du réel pur, impossible au cinéma, du moins une sensation de réel très forte quand les personnages s'effacent derrières les acteurs, ou les acteurs s'effaçant derrière les personnages ? Aussi, Rohmer plaide pour un cinéma de la parole, non pour que la parole remplace l'action, mais que pour la parole puisse constituer la matière même du film. Il ne s'agit alors pas de faire du théâtre filmé, parce que la parole devient un élément primordiale de la mise en scène Rohmériennes, et constitue un élément même de l'espace. La parole devient alors l'action principale du film, et le cinéaste s'attarde alors sur un filmage utilisant principalement des plans fixes, très composés, très précis, montrant les gestes des personnages. La critique de l'époque qualifiée son cinéma de « cinéma du comportement ». Qualification sûrement abusive, réduisant son cinéma, mais qui atteste de la volonté documentaires du cinéma de Rohmer, le rapprochant plus d'un Balzac que d'un Marivaux comme le font abusivement les critiques. Car d'une part il se concentre à toujours situer ses personnages dans un cadres sociologiques très précis, mais aussi en intégrant une forme narrative plus romanesque que théâtrale.
Toujours sur la mise en scène, et sur le tournage précisément, Rohmer se contraint à une ascèse sur le tournage proche du stoïcisme. La dépense est très restreinte, il rechigne même à payer un café, se limite à une seul prise, d'une part pour des raisons budgétaire, d'autre part pour permettre au réel d'advenir dans le plan, de permettre a la seule chose qui n'est pas prévisible de se déployer pleinement. Durant ce tournage, il ne fera exception à cette règle qu'une seule fois,7 durant un monologue de Maud que l'actrice voudra refaire, soutenue budgétairement par Trintignant, ce qui poussera Rohmer à accepter, mais il reprendra la première prise, pour rester fidèle à ce qu'il s'est imposé comme règle éthique et esthétique.
Le choix du noir et blanc est mystérieux, pourquoi préférer le noir et blanc, à savoir que la
collectionneuse, précédant conte moral, à était tourné en couleur, alors que la mise en scène essaye d'être réaliste ? D'une part parce que même si tourné avant, la collectionneuse est le conte moral qui arrive après Ma nuit chez Maud dans l'esprit de Rohmer, et que les deux premiers, la boulangère de Monceau et La carrière de Suzanne, sont en noir et blanc, faisant ainsi une continuité esthétique entre les œuvres. D'autre part, le film se joue sur une dualité entre le bien et le mal, et le noir et blanc de par sa dualité renvoie directement à cette opposition. Le blanc de la chambre de Maud avant l'arrivée de Trintignant dans le lit se fait recouvrir par la noirceur de l'obscurité, et cette blancheur viendra immergé le film, tout comme une pellicule, après cette scène centrale, d'environ 40 minutes, comme si Maud hante le personnage de Trintignant durant le reste du film. Enfin, Rohmer étant passionné par Murnau, le premier faisant sa thèse sur le second, cela permet à Rohmer de faire référence à l’expressionnisme, tout en lui laissant la possibilité de se concentrer sur le sculptage de l'espace, aspect primordiale pour Maurice Shérer. Le film s'efforce donc de conserver une mise en scène stricte, visant à faire ressortir du réel dans la fiction, accompagné d'acteur aux meilleurs de leurs formes, un scénario d'une grande rigueur et d'une belle simplicité, un film d'une beauté plastique étonnante pour l’époque et pour le réalisateur, bref, un grand film.