Une Agnès Jaoui en majesté incarne un double fictionnel de la cinéaste Sophie Filières, dans une élégante loufoquerie pour aborder des sujets graves avec distance et légèreté (non pas au sens désinvolte, plutôt celui d'un humour burlesque).

Se sachant très malade avant le tournage, la réalisatrice abordait celui-ci avec la conscience des choses éphémères. Elle y mettait donc en scène une intimité à fleur de peau pour garder une dernière trace de son existence.


Ainsi donc une femme d'une cinquantaine d'années dont l'esprit déluré cohabite avec un corps meurtri par des doutes existentiels et une obsession de la mort qu'elle pressent plus ou moins imminente (la fiction augurait tragiquement la réalité.....). On devine ici et la des traits borderline (pas nécessairement la maladie psychique en tant que telle, plutôt l'occurrence d'un état psychiatrique se situant entre le raisonnable et la défaillance, à la frontière entre la "normalité" et la "folie". Notez l'extrême importance des guillemets, car cette démarcation est ultra réductrice/simpliste). C'est intéressant de constater que Jaoui avait déjà abordé le sujet des troubles psychiques plus tôt dans l'année, en incarnant cette fois ci une mère bipolaire, autre type de personnalité atypique "hors normes". Mieux la fiction saura représenter la santé mentale, plus elle sera considérée dans l'espace public. En voilà une qui le fait sans ostentation, et ca fait sacrément du bien!!!


Ne réduisant pas le personnage à sa seule dépression et son hospitalisation en clinique, le scénario le fait divaguer dans des situations absurdes qui rendent cette quinquagénaire éminemment retorse. Passant d'une extrême jovialité à une grande névrose, et d'une allure tantôt décomplexée à une inhibition importante, on ressent tout autant de la sympathie que de l'agacement. C'est ce qui rend le film réellement vivant. On ira pas jusqu'à plaider la perfection pour autant, la faute à quelques impasses rythmiques et saillies dispensables. De même peut-être n'était il pas nécessaire d'envisager quatre vingt dix minutes (un peu moins en réalité), car on a l'importance qu'il finit par ne plus trop savoir quoi raconter à force.


Heureusement sa conclusion est libératrice, qui voit cette ingénue s'échapper dans de lointaines landes écossaises afin de s'intégrer à un environnement sans doute plus propice à ses besoins personnels. S'y rajoute une petite note british assez rigolote a laquelle l'incrédulité de Philippe Katherine (déjà bien barré au départ) finit de convaincre définitivement. Fortement recommandable!

Sabri_Collignon
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Films, Mon panthéon cinématographique, Cinéma à la marge, Les meilleurs films sur la beauté de la nature et Les meilleurs films sur la solitude

Créée

le 3 oct. 2024

Critique lue 130 fois

3 j'aime

Critique lue 130 fois

3

D'autres avis sur Ma vie, ma gueule

Ma vie, ma gueule
Aude_L
7

Très belle ouverture de la Quinzaine !

Ma Vie, ma gueule est porté par une Agnès Jaoui inédite, enthousiaste, sincère, triste, complètement à fleur de peau de son personnage dépressif qui ne veut pas guérir, mais ne veut pas pour autant...

le 28 mai 2024

8 j'aime

Ma vie, ma gueule
Sabri_Collignon
7

Agnès Filières, sa vie sa gueule

Une Agnès Jaoui en majesté incarne un double fictionnel de la cinéaste Sophie Filières, dans une élégante loufoquerie pour aborder des sujets graves avec distance et légèreté (non pas au sens...

le 3 oct. 2024

3 j'aime

Ma vie, ma gueule
Specliseur
8

Je est une autre

Ma Vie,Ma gueule est un film testament, où Hélène Fillières a décidé de mettre beaucoup de ses vérités. Même si le personnage de Barberie Bichette pourrait être un double fictif de la réalisatrice,...

le 19 sept. 2024

2 j'aime

1

Du même critique

Benedetta
Sabri_Collignon
4

Saint Paul miséricordieux

Verhoeven se voudrait insolent et grivois, il n'est au mieux que pathétique et périmé. Son mysticisme atteint des sommets de kitch dans une parabole pécheresse qui manque clairement de chaire (un...

le 13 juil. 2021

36 j'aime

3

Pas son genre
Sabri_Collignon
7

La Tristesse vient de la Solitude du Coeur!

Lucas Belvaux,réalisateur belge chevronné et engagé,est connu pour sa dénonciation farouche des inégalités sociales et sa propension à contester l'ordre établi.Ses chroniques dépeignent souvent des...

le 4 mai 2014

31 j'aime

14

Les Délices de Tokyo
Sabri_Collignon
8

Le Triomphe de la Modestie

Naomie Kawase est cette cinéaste japonaise déroutante qui déjoue volontairement depuis ses débuts la grammaire conventionnelle du 7ème art. Elle possède cet incroyable don d'injecter une matière...

le 11 août 2015

29 j'aime

5