Macbeth assassine Duncan, roi d'Ecosse et s'empare de sa couronne, c'est le début d'un engrenage qui va de meurtres en abus de pouvoir, où la folie saisit le souverain qui va de plus en plus s'enfoncer dans un abîme sanglant, tel celui qu'il a sur les mains et que toute l'eau des océans ne saurait laver. Un drame classique d'une telle dimension dans les mains d'un réalisateur comme Orson Welles ne pouvait donner qu'un résultat remarquable. Le mot est faible, car l'oeuvre de Shakespeare plusieurs fois adaptée à l'écran (et que Welles lui-même avait déjà montée sur scène en 1936 puis en 1947) s'avère effectivement grandiose dans sa version cinématographique.
Et pourtant, le film bénéficia d'un budget de misère de 75 000 dollars et fut produit par la Republic Pictures, modeste firme spécialisée dans les petits westerns de seconde zone mais aussi quelques séries B sympas (John Wayne fut sous contrat chez eux au début de sa carrière). Réalisé en 21 jours dans un décor de carton pâte rempli de brumes qui permettent de masquer l'indigence du plateau où les voix résonnent, le film reste célèbre pour son illustration d'une Ecosse censée être Celtique, mais transformée par l'audace talentueuse de Welles en une sorte d'univers primitif avec des personnages vêtus de peaux de bête et de casques de guerriers vikings, et un château ressemblant à une caverne. Welles lui-même en Macbeth a une allure menaçante et fantastique avec sa pelisse velue et sa couronne barbare et agressive. Ce parti pris ajouté à la pauvreté des moyens accentue selon moi, l'aspect sauvage et archaïque de l'oeuvre shakespearienne, il y a comme un côté bestial à un moment où le bien et le mal ne sont pas encore distinctement séparés.
Welles a su évoquer de façon magistrale la monstruosité du personnage de Macbeth que la prise et l'exercice du pouvoir enivrent, égarent et mènent à la folie et à un destin funeste. Mais le film souffre toutefois de l'insuffisance de Jeanette Nolan, une artiste de radio sur qui Welles dut se rabattre en remplacement d'Agnès Moorehead qui était prévue dans le rôle de Lady Macbeth, et que Welles avait utilisée dans Citizen Kane et la Splendeur des Amberson ; Tallulah Bankhead fut également pressentie, mais aucune des 2 actrices n'était libre. On sent hélas un déséquilibre sans cesse présent dans le couple Macbeth-Lady Macbeth en faveur de Macbeth, et il suffit d'imaginer ce qu'aurait produit Moorehead dans le rôle pour le regretter, c'est là le seul défaut de ce film parfait sur le plan de la dramaturgie et sur le plan technique. Ce sera le dernier film américain de Welles qui quittera ensuite les studios hollywoodiens, pour entamer dès lors sa longue errance européenne, de Venise à Paris, de l'Espagne à l'Allemagne en passant par le Maroc et le Mexique, avant de ne revenir qu'en 1957 pour tourner la Soif du mal.