Mad God est un projet de longue haleine qui représente pas moins de trente années de travail (pas en continue bien sûr) pour Phil Tippett véritable légende des effets spéciaux et de la stop motion à qui l'on doit des créatures dans des films tels que Robocop, Starship Troopers, Star Wars, Willow ou Tremors. En véritable artisan, au sens le plus noble du mot, Phil Tippett a construit durant trente an un univers aussi dantesque que cauchemardesque issus de son esprit en pilote automatique, de ses moments de dépressions de ses rêves et surtout ses cauchemar. Construit par brides, terminé à l'aide d'une campagne de dons et avec l'aide d'innombrables techniciens venant bosser gratos Mad God est un film monstre et une expérience absolument unique en son genre. Un long métrage complètement muet dénué de véritable trame narrative et qui laisse aux spectateurs le soin de s'immerger (ou pas) et s'abandonner pour en faire leur propre sens.
Même si il ne possède pas une histoire classique Mad God possède tout de même une véritable narration purement visuelle dans laquelle on suit une sorte de soldat qui s'enfonce pour explorer un monde sous terrain rempli de créatures étranges … Pour le reste libre à chacun d'y trouver ce qu'il voudra.
On va commencer par évacuer vite fait les quelques défauts du long métrage d'autant plus qu'ils ne sont trop préjudiciable à la qualité globale du film. Tout d'abord la longue gestation du film et l'évolution technique au fil du temps font que le film ne possède pas une véritable unité visuelle et même si cela ne va nuire en rien à l'aspect justement onirique et désordonnée de l’ensemble il est vraie que certaines séquences sont graphiquement un peu moins séduisante que d'autres. Même si le film reste un bricolage génial d'un monstrueux inventeur composé à 98% d'animation en stop motion, le film comporte aussi quelques séquences live avec des comédiens et ce sont loin d'être les plus marquantes du film. La séquence qui met en scène un personnage interprété par le comédien et réalisateur Alex Cox ont même presque réussis à me faire sortir un instant la tête de ce poisseux cauchemar surtout que Phil Tippett semble bien plus à l'aise pour donner vie à des créatures inertes qu'à diriger un comédien vivant. Et puis bien sûr Mad God est une proposition de cinéma tellement radicale et expérimentale qu'elle devrait laisser plus d'un spectateur sur le carreau, ce n'est encore une fois pas un défaut en soit mais un aspect dont il faut être pleinement conscient avant de se lancer.
Une fois ces quelques réserves minimes posées il reste à prendre un monstrueux pied et savourer une expérience sensorielle et cinématographique assez unique en son genre. Pas seulement de part le choix de mon pseudo, mais j'adore tous les films qui nous transportent complémentent dans un univers proche de celui des rêves et des cauchemars et dans lesquels n'existe plus qu'une forme de logique interne inhérente à l'inconscient. Une sorte de réalité distordue et métaphorique comme une promenade dans la psyché tordu d'un artiste qui nous invite à visiter les recoins les plus sombres de ses angoisses. Mad God est une sorte de descente au cœur des ténèbres avec un personnage s'enfonce littéralement de plus en plus profondément vers des abîmes de noirceur et au plus profond d'un univers absurdes de machines et de créatures qui ne cesse de se détruire et se reconstruire ou se dévorer entre elles. Bienvenue dans un monde dans lequel la rouille, la destruction, le pourrissement, la mutation, la violence et les détritus semblent régner en maîtres absolus, un monde qui dans un cycle infernal semble produire des choses et des êtres inexorablement destinés à l’obsolescence. En suivant ce personnage d'explorateur des enfers nous allons traverser des paysage désolés post apocalyptique, des univers de guerre et de champs de batailles, regarder des machines infernales créant et broyant dans un même élan des êtres humanoïdes, observer des créatures mutantes dans d'immenses décharges faites de résidus organiques et matériels et avoir parfois la sensation d''explorer l’intérieur d'un corps en décomposition … Dans un cycle infernale tout ce qui semble être créé est voué à la mort et la destruction. Impossible d'avoir la moindre notion d'échelle de ces univers putrides, le personnage qui les explore semblant tantôt gigantesque et parfois minuscule, le tout renforçant un sentiment profond d'inconfort et de perte de repères. Pas seulement parce qu'il nous renvoie à la face ce sentiment de la fin de toutes choses et notre sinistre capacité à détruire tout ce que nous créons , Mad Dog est un film parfois profondément inconfortable, fascinant certes, mais inconfortable quand même. Parfois jusqu'à l'excès le film est rempli de visions infernales, horribles, gore et suggestives avec des poupées qui se masturbent, des animaux de laboratoires, des expériences médicales dégueulasses, des créatures visqueuses sur des chaises électriques se vidant d'excréments qui nourrissent une créature plus immonde encore et des bestioles qui ne cessent de s'entre dévorer. Même si le film est traversé ici et là de quelques petits traits d'humour noir absurde il faut reconnaître que Mad Dog est un film assez étouffant et d'une noirceur absolue. L'autre versant de la médaille reste que l'on pourra regarder et cette fois ci pleinement admirer Mad God comme la magnifique célébration d'un cinéma artisanal et sans le moindre compromis commercial. Il faut clairement se réjouir que des films tels que Mad God ou Junk Head puissent encore exister dans un paysage cinématographique tout de même de plus en plus sclérosé dans le diktat de schémas bien trop balisés. Mad God reste une magnifique sortie de route qui nous plonge sans casque et sans ceinture de sécurité dans l'univers torturé d'un véritable artiste pouvant pleinement exprimer ses plus sombres obsessions.
Mad God est un film à ranger pas trop loin d'Eraserhead ou du superbe La Casa Lobo dans ce même univers des plus fascinants cauchemars jamais couchés sur pellicules, là ou il est parfois si bon de se perdre jusqu'au vertige abyssale des enfers.