Une révolution, un véritable fantasme sur pellicule, une coup de force monumental. Voilà ce que nous propose Mad Max : Fury Road, et bien plus encore. Un film qui se pose loin, très loin, et avec un panache déconcertant, devant toute la bouillasse de blockbusters de la dernière décennie.


« If you can’t fix what’s broken, you’ll go insane. »


George Miller est un fou furieux. Après avoir porter son projet à bras le corps pendant près de 17 ans (celui-ci ayant vécu un véritable « development hell ») le miracle se produit enfin, sous nos yeux ébahis. Mais avant de se jeter dans la gueule du monstre, il semble important de rappeler que le réalisateur australien a tout inventé. Avant que le genre du post-apo ne soit à la mode et débilisé par des films comme Hunger Games, avant que le steam punk bad ass n’envahisse nos consoles, avant que Vin Diesel se la touche pendant les courses-poursuites des Fast & Furious, avant tout cela, il y avait Mad Max. Et aujourd’hui, du haut de ses 71 ans, George Miller vient enfin reprendre son flambeau et calmer tout le monde.


Dés lors, il est agaçant de distinguer une certaine hypocrisie lors de la campagne marketing démentielle du film, les bandes-annonces affichant en énormes lettres : « From Mastermind George Miller », alors que celui-ci fut allègrement boudé et sous-estimé par les studios depuis de nombreuses années, enchaînant les projets avortés et les coupures budgétaires… Mais, malgré cela, le monsieur a su expérimenter de son côté et, on a beau dire ce que l’on veut, mais des films comme Babe et Happy Feet, sous leurs airs de grosses productions familiales, contenaient bel et bien toute l’essence de son cinéma. Un cinéma profondément beau et humaniste.


La Horde Sauvage


Tel un vieux sage de la caméra, Miller est conscient de la légende qu’il a créé avec Mad Max premier du nom et ce nouveau volet ne pourrait être plus en accord avec celle-ci. Car le personnage interprété jadis par Mel Gibson est bien plus qu’un simple héros de cinéma , il est une institution, un état d’esprit, le symbole d’une rébellion et d’un refus de toute dictature castratrice. Il est la rédemption, la recherche inarrêtable de la liberté… Mad Max : Fury Road est l’incarnation la plus totale de tout cela. Et ce, pas seulement à travers Tom Hardy, qui reprend le flambeau dans la peau de Max, mais aussi avec Furiosa (Charlize Theron), sorte de double féminin de notre héros et, plus largement, à travers tous les personnages qui font respirer cette œuvre aride, belle et organique.


Le film commence avec un plan sublime, chargé de significations. Max, de dos, observe un paysage désertique s’étendre infiniment devant lui, miroir de sa psyché malade et promesse de la folie furieuse à venir. Ce tableau résume à lui seul la plus grande force du film : arriver à instaurer une puissance symbolique et une énergie sans limite dans l’ADN de chaque image. Et au bout d’un prologue complètement dingue, plus aucun doute n’est permis : le rythme frénétique, les fulgurances graphiques, la narration incroyablement fluide… Tous sont les mécanismes d’une bombe qui explosera sous nos yeux deux heures durant.


Le plus fou étant que ces éléments se construisent exclusivement à travers les scènes d’action qui, en plus d’être ce que l’on a vu de plus impressionnant au cinéma depuis….toujours(!), participent intensément au déroulement de l’intrigue. En cela, Mad Max : Fury Road est une véritable leçon de mise en scène, qui nous fait réfléchir à l’essence même de ce qu’est le cinéma : l’art de conter une histoire par les images. De par cette approche, le film s’oppose de façon absolue au système hollywoodien nous servant trop souvent des blockbusters décérébrés aux dialogues sur-explicatifs insupportables et aux scènes d’action mettant le récit sur pause. Un retour aux sources en cohérence totale avec l’économie de CGI lors des scènes de courses-poursuites. Ici, pratiquement rien n’est travesti par des images de synthèse et on sentirait presque le sable nous brûler les yeux.


Histoire de regards


Le film impose donc un langage cinématographique limpide et installe un univers riche et cohérent se construisant constamment à travers un foisonnement de détails visuels. L’histoire, sous son apparente simplicité, cache une vraie profondeur, qui passe avant tout par le traitement des personnages, si subtile et pertinent que cela relève du génie pur. Ici, un simple regard vaut mille mots et suffit à exposer tous les enjeux. Les quelques lignes de dialogue émises le long de cette immense course-poursuite ne font qu’ouvrir des réflexions. Le seul vrai langage, c’est l’image. Le cinéaste, tel un observateur du monde qui l’entoure, livre une fresque humaine faite de rage et de sang, utilisant l’action et le prisme du genre pour livrer ses idées et son discours. Un discours qui, s’il peut paraître pessimiste au premier abord, est en fait teinté d’espoir et place l’Homme (mais surtout, la Femme !) au dessus de tout. Savoir se détacher des puissances manipulatrices, se remettre en question et revenir sur ses pas pour mieux se reconstruire… On ne peut, en quelques lignes, refléter toute la richesse et la justesse philosophique de cette œuvre divine. Miller nous offre des héros profondément humains, êtres perfectibles aux regards brisés, résidus d’une humanité perdue qui n’attend qu’à renaître de ses cendres. Cette « route de la fureur » est une incroyable odyssée futuriste aux préoccupations finalement très contemporaines…


Sous une folie ambiante et un soleil écrasant, le réalisateur australien procède à une distorsion de la réalité et les innombrables explosions de cette course effrénée sont ainsi le symbole de la rage et de la vie qui habite chaque personnages, esclaves de la manipulation totalitariste d’ Immortan Joe. C’est toute cette dimension symbolique et conceptuelle qui intéresse Miller, qui, a aucun moment, ne livre un morceau d’action décérébré et gratuit. Tout est là dans un but précis. Ultime cerise sur un immense gâteau, le film fait preuve d’une liberté et d’une audace pratiquement jamais atteints dans un blockbuster de cette envergure. De par sa narration, son discours et le traitement de ses protagonistes, comme abordé plus haut, mais aussi à travers une violence frontale assez incroyable et le fait de filmer une humanité morbide et difforme, fruit de son environnement et de son passé (voir cette galerie hallucinante de freaks ! ). Ces critiques américaines, ahurissantes de bêtise, qui ont reproché au film d’être féministe (ce qui, par ailleurs, n’aurait absolument rien de négatif) n’ont bien évidemment rien compris à une œuvre qui place tous ses protagonistes au même niveau. Les hommes, les femmes, les maîtres et les esclaves.


Miller fait donc preuve d’un degré de maîtrise dans son écriture et sa réalisation tout simplement inouï. Le cinéaste nous offre une histoire simple mais jamais simpliste et revient au fondement même du récit initiatique. Il embrasse complètement son univers et ses personnages et créé ainsi le maître étalon d’un cinéma basé sur le mouvement. Mad Max : Fury Road nous déballe une narration purement visuelle qui se passe presque intégralement de dialogue et gagne en puissance à chaque nouveau visionnage. Et la divinité de cette fresque punk passe également par un score démentiel, une photographie sans pareil et des acteurs d’une prestance incroyable. Tom Hardy dégage un charisme animal fou tout en arrivant à faire ressortir toute l’humanité de son personnage et livre une prestation beaucoup plus subtile qu’elle n’y parait – et Charlize Theron, iconique en diable, trouve ici le rôle de sa vie, tout simplement.


Chacun de ces éléments aboutissent finalement à un film sans équivalent, une ode à la vie pleine de mystère, de fureur et de colère, une œuvre d’art qui n’a aucunes limites et marque le spectateur au fer rouge. Sublime, intransigeant, virtuose… Fury Road décuple la signification même de ces mots pour nous offrir un spectacle sous acide qui brise les barrières de la bienséance à grand coup de pare-choc renforcé. Une des plus belles propositions de cinéma jamais faite. Soyez témoins.


critique originale : http://www.watchingthescream.com/the-beauty-of-madness-critique-de-mad-max-fury-road/

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le 14 mai 2015

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Aurélien Z

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