30 ans depuis le troisième opus (Mad-Max : Au delà du dôme du Tonnerre) décevant mais pas nul, on pensait la saga Mad-Max définitivement enterrée. Le genre post-apocalyptique peinait à se faire remarquer malgré des tentatives plus ou moins fidèles au genre (on peut citer rien que dans les années 2000, Le Livre d’Elie, Je suis une Légende ou encore La Route) lorsqu’il n’était pas tout simplement réduit à de la série Z comme on en a connu dans les années 80… Triste mais vrai, le post apocalyptique avait quelques part perdu ses lettres de noblesse.


C’était sans compter une longue gestation dans le cerveau de George Miller, le créateur de Mad-Max, égaré alors dans l’univers du film d’animation (les très bons Happy Feet 1 et 2, c’est lui !) et dont on imagine bien qu’il s’est inspiré du langage visuel propre à l’animation pour élaborer son Fury Road. Nous voici donc en 2015. Et le moins que l’on puisse dire c’est que depuis le premier Mad-Max en 1979, l’époque a changée. Il fut un temps où le genre était mal considéré. On parlait de déviance, de film punk. Aujourd’hui, l’équipe de Mad Max : Fury Road foule le tapis rouge du Festival de Cannes, le film bénéficie d’une énorme couverture médiatique et le R-Rated est devenu un argument de vente et de buzz. Hier considéré comme sous-culture, voici le genre post-apocalypse consacré ! Si on ne peut donc plus parler de mouvement contestataire « punk », on peut toutefois affirmer que le cinéma de genre a définitivement gagné et c’est naturellement le Cinéma qui en ressort grandi. Et de quelle manière ! George Miller, Avec Mad-Max Fury Road, tel le Ben-Hur du post apocalypse, vient de terrasser plus de 10 années de blockbusters aseptisés et coincés entre les cascades en CGI d’un Fast and Furious et autres Transformers et plus généralement, la « marvelisation » du cinéma de divertissement à grand spectacle.


Mad-Max dépeint donc un monde où l’homme doit redevenir primate s’il veut espérer survivre. C’est le plus fort qui règne, mais au sens darwiniste du terme.


De ce postulat simple (mais non dénué de sens), George Miller cinéaste du mouvement utilise la grammaire visuelle plus que des mots pour raconter son histoire. En témoignent, sa maestria visuelle qui illustre l’état émotionnel et psychologique de son héros ou encore les impressionnantes et furieuses courses poursuites de ses « road-warriors ». Sa caméra ne se contente pas de capter l’action mais lui donne carrément vie en faisant partie intégrante et indissociable de celle-ci. Il y a d’ailleurs une incroyable organisation dans la mise en scène de Miller qui n’a de cesse de contrôler le regard que pose le spectateur sur la moindre image de son film. On notera alors l’utilisation judicieuse de la couleur (par exemple, le rouge que porte le Doof Warrior à la guitare lance-flamme que vous ne trouverez pas ailleurs dans le film), des valeurs de plans mais aussi des angles et des axes dont les lignes de force internes de chaque plan sont utilisées pour dynamiser l’action avec un raccord ultra précis au montage alors même que se jouent plusieurs structures de mise en scène en arrière et au premier plan tel un ballet motorisé frénétique. C’est ce que personnellement, j’appelle un vrai travail de metteur en scène. Tout cela prouve à la fois l’importance et l’incroyable difficulté du métier de réalisateur. Et au final, il en résulte une incroyable fluidité rarement atteinte dans le cinéma d’action dont la rétine du spectateur ne peut que se délecter avec une étonnante facilité. Sensation de vitesse vertigineuse et maelstrom de tôles froissées, George Miller torture ses images et utilise absolument tous les outils de mise en scène que le cinéma peut apporter pour son armageddon mécanique, le tout emballé dans un scope absolument magnifique et une musique tonitruante.


La direction artistique est quasi irréprochable, piochant par ailleurs quelques idées graphiques au jeu vidéo d’Id Software Rage (qui piochait lui aussi dans l’univers post apo de Mad-Max). Du bouillonnant désert aux personnages hauts en couleur mais aussi des incroyables véhicules, tout transpire le génie. Pas de doute, le film est bel et bien signé et c’est un véritable auteur qui est derrière tout ça. George Miller et ses collaborateurs (production designer Collin Gibson, DoP John Seale, les cascadeurs...) font preuve d’une incroyable cohérence visuelle forte en symbolisme (faux dieux, faux progrès (matriarcat menant au totalitarisme en promettant douceur et gloire à la différence du patriarcat qui promet difficulté et labeur) dont certains se sont crus intelligents de le comparer (et récupérer à des fins idéologiques comme toujours) aux militantismes féministes faisant semblant d’oublier les précédents épisodes qui voyaient déjà des femmes comme pivot central dans un monde humaniste bien plus complexe que binaire.


Toutefois, le film n’est pas exempt de défauts (quelle création humaine ou artistique peut avoir cette outrecuidance ?), je peux lui reprocher le traitement du groupe féminin habillé en blanc tout droit sortie d’un clip de Beyonce et qui se veut le contre élément « beau » à la laideur du monde d’Immortan Joe mais qui échoue finalement dans sa naïveté. Des « Beautés » qui seront d’ailleurs volées par l’intermédiaire d’un autre groupe : celui de ces vieilles dames soldats du désert, écorchées par l’adversité d’un monde sans valeur, absolument magnifiques et ce jusqu’à la mort. Je peux aussi reprocher un cruel manque de rage, de colère, de révolte, d’inconfort (je pense par exemple au sort que les warboys réservent à Max au début… pas très dérangeant tout ça alors que ça aurait dû l’être !) dans le traitement de la violence qui est ici essentiellement graphique (syndrome 300 de Snyder) mais exempt de toutes émotivités cathartiques et épidermiques pour le spectateur que je suis. On n’a d’ailleurs jamais peur pour Max et le fait qu’il s’en sorte à la fin sans la moindre égratignure est toute même regrettable après un spectacle motorisé aussi dingue. Regrettable dans un monde sans foi ni loi. Surtout quand on se rappelle la gueule à moitié défigurée de Mel Gibson et certaines scènes de Mad-Max 2. Bien entendu, pour un budget de 150 M$, j’imagine qu’il a fallu faire des concessions. C’était l’ultra-violence ou les courses poursuites dantesques. Au fond, George Miller a fait le bon choix. Celui du Cinéma avant tout.


Plus de 1000 idées de mises en scènes à la seconde. Voilà ce qu’est Mad-Max : Fury Road. Un divertissement paroxystique frénétique et complétement dingue, à l’allure d’opéra rock où s’entremêlent freaks, poussières et tôles froissées dans un vacarme motorisé étourdissant tout en peignant avec une absolue beauté la solitude d’une humanité prisonnière de ces interrogations existentielles, perdu au milieu d’un suffocant désert sans limite et n’ayant d’autres choix que d’ « avancer ».


En espérant que les prochains blockbusters s’en inspirent…

Tirry
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le 18 mai 2015

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