Ce n'est pas à un vieux singe qu'on apprend à faire des grimaces
Quand en 1978, Snake In The Eagle's Shadow fait un carton au box office, le petit monde du film de Kung Fu est en émoi. Tout le monde se lance dans la production de films du même calibre, et les prétendants au titre de nouveau Jackie Chan se bousculent (Yuen Biao, Yuen Tak, Austin Wai, Tung Wei, Lau Kar Yung ou même Mars !). Les réalisateurs/chorégraphes déjà dans le métier ne peuvent que suivre la mode, tout en préservant leur originalité propre, comme Samo Hung avec son Knockabout. Lau Kar Leung, même s'il a signé 3 chefs d'œuvre coups sur coups la même année, se doit de réagir. Sa réponse arrivera l'année d'après et se nomme Mad Monkey Kung Fu ! Tous les ingrédients de la comédie Kung Fu à la Snake In The Eagle's Shadow y sont présents : Un jeune garçon insouciant pour héros, un maître charismatique mais qui n'enseigne pas facilement, une technique de Kung Fu bien spécifique et visuelle et les incontournables phases d'entraînement ou autres utilisation du thème associé à Wong Fei Hung. Mais Mad Monkey Kung Fu n'en est pas pour autant une pale copie de l'original, le maître y a laissé sa marque...
La trace la plus évidente, c'est la place laissée au personnage du Sifu. D'habitude dans ce type de films, c'est une figure mi sage mi comique qui reste le plus souvent en arrière fond, laissant la première place à son fougueux élève. Lau Kar Leung, animé par sa vision martiale, fait les choses différemment. Le personnage du maître est dans Mad Monkey Kung Fu au cœur du film ! Il en est l'âme profonde. La tragédie qu'il rencontre en début de métrage oriente la suite du récit et son personnage reste constamment présent pour guider son disciple (physiquement et moralement) jusqu'à la conclusion. Une conclusion liée, logiquement, au vécu du maître et où celui-ci ne va pas hésiter à mettre la main à la pâte, sauvant son élève à plus d'une occasion. La démonstration est limpide : Chez Lau Kar Leung, le maître est quelqu'un d'actif, c'est lui le détenteur du véritable Kung Fu, de l'esprit martial. C'est un sage qui mérite le plus grand respect. Le rapport entre maître et élève est, à ce niveau, aussi emblématique. Chez Jackie, Yuen Woo Ping et même Samo, le maître est quelqu'un qui possède le savoir mais est aussi roublard et sujet de moqueries ou de gags affectueux. Pas de ça ici ! Le maître mérite le plus profond respect et le reçoit sans la moindre arrière pensé de son disciple à la fin d'une superbe séquence d'entraînement ou, encore plus évident, à la toute fin du métrage.
Et qui d'autre pouvait interpréter ce Sifu vertueux si ce n'est le réalisateur lui-même, Lau Kar Leung en personne ! Ce choix de casting peut à priori surprendre, le chorégraphe/réalisateur n'ayant pas eu jusque là l'habitude d'apparaître pour des grands rôles devant les caméras, les mauvaises langues pourraient même y voir une manifestation de son ego, reste que c'est un choix de génie, Kar Leung personnifiant bien Le maîte de Kung Fu dans toutes sa dimension. Il se révèle d'ailleurs un acteur tout à fait convaincant (et ce n'était pas une partie de plaisir, son rôle recouvrant de multiples facettes), et, est il besoin de le préciser, enflamme l'écran dés qu'il s'agit de se battre. Nul doute qu'un autre acteur n'aurait pas pu interpréter aussi bien ce puissant Sifu !
Pour jouer le jeune disciple fougueux, Lau fait appel au jeune Hsiao Hoo qu'il venait de prendre sous son aile et avait employé dans Dirty Ho juste avant. Ho est, tout comme Jackie, un ancien de l'opéra de Pékin et donc un acrobate accompli. Débordant d'énergie, le garçon impressionne pour son premier grand rôle ! Enchaînant acrobaties et techniques martiales avec une fluidité hallucinante, le tout avec la pointe d'humour nécessaire à ce type de films, il nous offre rien de moins qu'une des plus belles représentations de la technique du singe sur le grand écran. Un vrai bonheur. Plus embêtant est son manque de charisme, un problème récurrent de bien des jeunes acteurs physiquement talentueux qui tenteront de suivre les traces de Jackie. L'accent mis sur le personnage de Lau permet heureusement de faire diversion de ce défaut mais il est certain qu'une partie du public risque de ne pas accrocher à Hsiao Ho à cause de ce problème.
Autre léger impair dont souffre le film : Le méchant joué par Lo Lieh. L'acteur à de l'expérience dans ce registre et a une présence indéniable. Malheureusement ses capacités martiales sont beaucoup moins convaincantes. Ce défaut peut être dissimulé habilement dans le cadre d'un Wu Xia Pian, plus orienté fantastique, mais avec les chorégraphies techniques et rapides que Lau met en scène, les artifices ne sont pas de rigueurs et Lo Lieh à parfois un peu de peine à suivre. L'ensemble de ses scènes d'action restent honorables, mais on ne peut que rester songeur à ce que cela aurait pu donner si quelqu'un comme Johnny Wang avait hérité du rôle...
Kung Fu comédie faussement classique, Mad Monkey Kung Fu est une autre réussite de son réalisateur qui réussit à conserver le meilleur du courant post Snake In The Eagle's Shadow tout en imposant son style personnel. Aucune raison de bouder son plaisir !