Cette femme-là a de l'esprit, mais un esprit aigre... et fera bien des sottises.

Sous le règne du Roi Soleil, la Marquise de Sévigné, littéralement folle de sa fille Françoise, lui prédit un avenir radieux : "Je te veux maîtresse de ta destinée, indépendante et heureuse". Elle entend surtout la modeler à sa façon, faire en sorte qu'elle lui ressemble en tous points. Mais un soir, le Roi bascule la donzelle dans un des bosquet éponyme mais elle est sauvée de justesse par l'intervention de sa mère qui rappelle le Roi à une conduite plus respectable. Se refuser ainsi au Roi ne se fait pas et cette pauvre Françoise n'a dès lors plus que deux options, entrer dans les ordres ou épouser le premier homme qui l'accepte malgré l'affront fait au Roi. C'est Monsieur de Grignan qui remporte la timbale. Il a le double de l'âge de Françoise, est issu d'une grande famille mais est hélas couvert de dettes. Il ne rechigne donc pas devant la dot. Mais contre toute attente, le couple s'aime et Françoise se meurt d'amour dès que son époux s'éloigne de Paris. Il faut dire qu'il s'agit de Cédric Kahn et que même très laidement emperruqué, on a guère envie de le laisser sur le palier. Il a sa "charge" dans la Drôme provençale, à Grignan où il va s'installer en laissant sa femme avec leur premier enfant. Elle finit par le rejoindre et devient une véritable poule pondeuse au grand désespoir de sa mère qui ne comprend pas que sa fille cède ainsi à la dépendance à un homme et à la vie de famille (quoique l'instinct maternel ne saute pas aux yeux mais manifestement le seul moyen contraceptif d'une épouse à l'époque était l'abstinence ou la ménopause).

J'ai lu que le cousin de Madame de Sévigné (qui lui dit élégamment qu'elle n'est plus en état de procréer et qu'ils peuvent donc...hum hum, vous voyez quoi... on fait la chose mais on ne la nomme pas) disait de Françoise : "C'est la plus jolie fille de France... Cette femme-là a de l'esprit, mais un esprit aigre, d'une gloire insupportable, et fera bien des sottises. Elle se fera autant d'ennemis que la mère s'est fait d'amis et d'adorateurs". Il est vrai que ses brusques revirements d'humeur, ses changements d'avis inattendus, ses hésitations la rendent assez sotte. Peut-être est-elle plus futée que cela finalement puisqu'elle tient tête à son encombrante, envahissante, étouffante et très influente mère.

Et le film s'attache quasi exclusivement à cette relation houleuse, conflictuelle entre la mère et la fille. La première dépérit littéralement lorsqu'elle est éloignée de sa fille et se met à lui écrire des lettres dignes des amants les plus passionnés. Ces missives ne sont qu'une interminable logorrhée où la mère décrit les souffrances mentales et physiques qu'elle endure d'être séparée de sa fille. Et la fille ne fera que repousser et retrouver cette mère monstre qu'elle ne parvient ni à aimer ni à détester. Cette dernière acceptera sans jamais rechigner tous les atermoiements de sa fille toujours prête à tout pour être de nouveau avec elle.

Le film d'une grande beauté dans sa reconstitution historique aux dialogues littéraires d'une grande finesse, n'élude aucun craquement des bûches dans les cheminées, aucun crissement de parquet lambrissé, aucun frottement de la plume sur le papier, aucun froufroutement des robes et dentelles mais se contente d'alterner les scènes de retrouvailles et de séparations de ces deux femmes sous emprise l'une de l'autre. J'ai beaucoup bâillé.

C'est grâce à ces échanges épistolaires que Madame de Sévigné dont hélas les réponses de sa fille ont paraît-il été détruites par la famille, est devenue femme de lettres. On rêve de recevoir ce genre de lettres admirables mais un peu moins doloristes et autocentrées. Je n'arrive pas à me prononcer sur la prestation des actrices. Karin Viard a parfois la bouche et le visage déformés par la douleur et le chagrin, parfois par le mépris à l'égard de ceux qui s'entreposent entre elle et l'objet de ses tourments. Et Ana Girardot a la pâleur diaphane qui sied à son personnage à la santé fragile. Les autres font dignement office de faire valoir.

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le 3 mars 2024

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