Ils sont 5, ils sont tous de jeunes musulmans, mais leurs points communs s’arrêtent là, après ça ce sont des individus qui traînent des histoires propres, des origines, des caractères, et même des idées différentes.
Ils vont pourtant se réunir pour former une cellule Djihadiste à Paris, et rien qu’en disant ça on comprend l’ambiance qui règne dans la salle dès les premières minutes.


Pour nous permettre d’entrer dans cet univers a priori hostile, c’est notre capitaine de soirée préféré qui s’y colle. Sam l’intello de service qui est en réalité un journaliste musulman ayant choisi d’infiltrer le groupe pour écrire sur le sujet nous sert de guide et de repère. Il est la voix de la raison, la lueur au milieu de la noirceur, il est la connaissance au milieu des ténèbres et de l’ignorance ambiante. Un rôle qui nous réconcilie avec le film, qui l’empêche de tomber dans l’amalgame facile, qui vient mettre en lumière l'amateurisme de ses collègues. Sam est celui auquel on s’attache, anti-héros dont le super pouvoir est une connaissance aigüe de la religion.


Made in France fait mal assez vite, et on a peur de basculer dans quelque chose de franchement dérangeant parce que facilement récupérable: très vite, le meneur impose à ses soldats de “se fondre dans la masse”.
Un ordre bien banal, mais qui a pour effet immédiat de changer le ton du film.
D’une réunion de petits rebelles on passe à une organisation qui se met en place avec des véllités qui émergent.
La scène de “tonte” a beau être plaisante à regarder, la musique a beau jouer son rôle en venant de temps en temps nous calmer, ça ne passe pas, on ne peut s’empêcher de prendre peur.


C’est là que le film place son premier crochet: parce qu’au fond malgré le refus des amalgames et préjugés, quelque chose avait fini par habituer le spectateur à ces jiadhistes aux barbes tellement caractéristiques.
Même si barbu ne signifie pas terroriste, voir sous nos yeux les aspirants assassins se fondre dans la masse, jouer le jeu de la “surnormalité”, ça enfonce davantage le propos dans un univers anxiogène au possible.


C’est à ce moment que le film devient complètement dérangeant, et c’est également lors de ce tournant qu’on remarque un peu étonné, un peu déçu à quel point on peut avoir du mal à appréhender certaines choses qui sont trop proches de nous.
Découvrir combien nos réflexes sont conditionnés n’est pas toujours une bonne surprise.


Pas parce que le film loupe son propos, au contraire il a réussi son pari de retourner les idées reçues, de les renvoyer en pleine face au spectateur.


Oui l’entrée dans la radicalisation du groupe est une vraie réussite.


La suite est l’histoire “classique” d’un gang qui apprend à se découvrir, à vivre ensemble, à construire un projet.
Chaque personnage correspond à une vision de l’islam, à un passé, à une explication du “pourquoi il est arrivé là”.
Chacun peut être vu comme une sorte de cliché, de représentant d’un courant d’idées, ça fait assez scolaire et naïf mais en même temps c’est nécessaire pour bien marquer les différentes réalités qui peuvent mener à une action commune et a priori uniforme. Ça vient nous rappeler que sans vouloir chercher d’excuse à qui que ce soit, on peut quand même trouver beaucoup de motivations différentes pour expliquer certains passages à l’acte, et que rien n’est aussi simple à appréhender qu’on voudrait bien le croire.


En gros on a le chef qui a tout d’un militaire dans sa façon de régenter son groupe, le "bon élève" repris de justice ayant soif de sang et d’un combat total, le jeune désœuvré qui doute un peu de sa foi mais veut bien faire en vengeant un membre de sa famille, et le convertis de dernière minute qui se sent obligé de montrer patte blanche pour se faire accepter.


Un gang avec ses personnalités plus ou moins fortes: le bon élève de service Driss étant celui pour lequel on a le plus de mal à avoir de l’empathie (après Hassan le chef).


Le deuxième moment important du film qui vient nous réconcilier avec le “groupe” et nous rend les personnages plus sympathiques se passe en deux étapes:


C’est d’abord la mort d’un des leurs qui vient ébranler la belle solidarité et l’euphorie du groupe puis surtout la discussion sur la cible: quand même le soldat ultime refuse d’attaquer des civils, on se dit qu’il y a encore quelque chose à sauver au milieu de tout ça. Le personnage qui nous laissait de marbre devient soudain beaucoup plus accessible.


La fin est au choix un soulagement ou une déception.


le twist relatif à Hassan qui a monté son groupe à partir de rien vient à nouveau nous secouer: l’équipe de bras cassés qui n’a pas réussi son coup reposait sur du vent. Ils ont tous été trompés et nous avec.


Ouf pour le film, on retrouve un peu d’air, on va pouvoir sortir boire un verre, n’empêche qu’on est obligé de s’interroger: et si le danger ne venait pas justement de groupes sortis de nulle part? Comment faire pour démanteler une organisation qui n’existe pas?


Le film veut mettre en avant plusieurs choses: le fait que les plus jusqu’au boutistes ne sont pas les meilleurs croyants, qu’il existe plusieurs façons de vivre sa religion, qu’il est facile de récupérer des jeunes paumés, qu’on n’arrive à rien avec des idées pourries et des motivations qui ne sont pas les bonnes, qu’on peut se laisser monter la tête quand on se croit investi d’une mission sacrée, que ce genre de combat est voué à l’échec.


Immanquablement on pense à Mohamed Merah, on pense aux frères Kouachi, on pense à tous ceux qui sont peut être en train de s’organiser, de se renseigner, de monter des attaques dans leur coin ou dans des structures existantes.
Et on se dit qu’on n’a pas fini d’avoir peur.


La peur elle vient aussi de la façon dont ce genre de film peut être retourné contre son propos: il est facile d’y voir ce qu’on veut bien y voir, indépendamment des bonnes intentions du réalisateur.


Nicolas Boukhrief a avancé qu’on n’avait pas su réagir aux actions d’un Mohamed Merah, ne trouvant pas l’élan que nous avons su faire naître par la suite pour Charlie hebdo.
C’est vrai, et c’est en ça que son film est un vrai appel à la vigilance.
Pas la vigilance du genre “attention aux barbus”, non la vigilance qui nous dit qu’il faut se révolter quand on nous attaque, et savoir se mobiliser pour faire comprendre à la société, aux jeunes (ou moins jeunes) un peu à la marge qu’il y a des choses qui ne sont pas admissibles.
Si nous ne savons pas montrer notre indignation quand des enfants sont abattus froidement, alors comment s’étonner que certaines atrocités finissent par devenir banales?
Il serait idiot de penser qu’on aurait pu régler tous les soucis en réagissant autrement, mais se dire que nous sommes tous responsables de la société qui est capable de donner naissance à de tels comportements n’est pas si bête.
Un propos un peu simple, mais tout bien réfléchi il n’enfonce que des portes entrouvertes, et tant mieux s’il contribue à faire passer un peu plus de lumière.


Il est évident qu’on n’empêchera jamais quelques dissidents de vouloir exprimer leur rage, leur folie, leur soif de sang, mais le film nous montre surtout comment un groupe peut suivre un meneur, et c’est ce groupe qui est là parce qu’il manque de repères.


Made in France met le doigt là où ça fait mal, sur les carences de notre société, sur notre capacité à nous voiler (terme à propos) la face et à laisser quelques individus isolés devenir de vrais dangers.
En fomentant des attaques isolées ce ne sont pas quelques morts qu’ils sèment, c’est le risque de faire naitre des vocations.
Loin de vouloir nous effrayer, Boukhrief veut nous réveiller. Il oublie un peu au passage qu’on ne pourrait résoudre les problèmes en les traitants à la seule échelle du pays mais il a le mérite de poser la question de notre responsabilité.
Malheureusement je ne suis pas certaine que son propos arrive dans les bonnes oreilles, et comme déjà dit, le risque est qu’on puisse interpréter le film de différentes façons et le modeler selon les besoins du moment.
A vrai dire moi la première il y avait peu de chances pour que je découvre ce film sans la main invisible de senscritique, et c’est aussi le débat d’après film qui m’a aidée à mettre le doigt sur ce qui m’avait retournée et sur le but du film.


Pour résumer “made in France” est un beau thriller qui permet de se remettre en question, porté par de bons acteurs, une réalisation efficace, une musique bien dosée (qui rappelle beaucoup le climat de l’excellent “drive”), une montée en puissance oppressante.
Sans goûter spécialement au genre, et malgrè quelques défauts et pirouettes pas toujours nécessaires il faut bien reconnaître qu’il a beaucoup d’atouts en sa faveur, et c’est assurément un film qui vaut le détour, mais qui vaut surtout qu’on se pose des questions.


Un film qui paradoxalement nous parle beaucoup de notre société alors qu’il ne sort que très peu de la cellule extrémiste qu’il suit.

iori
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le 27 oct. 2015

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