Certains projets semblent avoir du plomb dans l’aile avant même leur lancement: un texte daté qui semblera ampoulé ou poussiéreux au plus grand nombre, des acteurs ayant jusque-là peiné à convaincre les cinéphiles les plus exigeants, et un thème évoquant des choses déjà lues et vues, dotées d’un souvenir encore flamboyant dans beaucoup de mémoires.


Pourtant, les premières secondes balayent comme une brise légère dans un jardin Français tous les doutes et réticences. Le texte ? Magnifique, et immédiatement réservoir à citations pour peu que vous soyez à l'affût de ce genre de friandises. On pourra donc naturellement regretter l’effet théâtral de tels dialogues, en oubliant sans doute que nos ancêtres ne s’exprimaient pas exactement comme les plus frustes de nos jeunes générations actuelles. La "belle éducation" mentionnée par les personnages du film ne concernait certes pas la grande majorité de leurs contemporains, mais on peut estimer que pour celles et ceux qui en avaient bénéficié, l’élocution brillante en était un des plus spectaculaires atours.


La référence aux liaisons dangereuses n’est pas sans objet, puisque le film d’Emmanuel Mouret s’inspire du Jacques le Fataliste de Diderot (au moins une de ses parties, l'histoire de Madame de la Pommeraye), paru deux ans après le roman épistolaire de Choderlos de Laclos. Une thématique chère à l’époque et sans aucun doute collée aux tourments de la haute société de cette fin du 18ème siècle. Loin de se révéler comme un sujet hors-sol dans la France de 2018, l’oisiveté du temps permettait (déjà) l’examen le plus méthodique des âmes par les plus grands artistes du temps.


Et si Edouard Baer est sans surprise excellent dans son rôle de Marquis tourmenté, Cécile de France éclate dès les premières secondes en madame de Pommeraye tour à tour méfiante, heureuse puis vengeresse. Ce qui apparaît comme une insulte pour tant d’actrice de son sexe et de son âge (et c’est d’ailleurs un des thèmes du film) tient là de la bénédiction: une maturité nouvelle de l’actrice la place ici au centre d’une intrigue qu’elle illumine d’une classe toute nouvelle et heureuse. Et ce n’est sans doute pas pour rien que le naturel qui se dégage de son interprétation renvoie en creux, lors des dialogues qu’elle partage avec son amie bien moins à l’aise, à la difficulté de l’exercice.


Reste le fond, d’une traditionnelle et criante actualité. Les traces d’une immanence dans un certain type de rapports homme-femme sont examinées sous un stéthoscope dont la mise au point ne faillit pas une seconde. Un enivrant équilibre se fait peu à peu jour, entre la vengeance d’abord légitime mais bientôt autodestructrice (par combustion interne) de Madame de Pommeraye, et un Marquis aux amours volages mais toujours sincères et exprimés comme tels. Le Marquis aime totalement et sans calcul, mais pas longtemps. Jusqu’à quel point est-ce condamnable ? Jusqu’à quel point peut-on lutter contre sa nature, faite d’abandon et d’absolu, lorsque le danger chez l’être aimé réside dans une anticipation réelle de l’éternité invoquée ? Il y a sans doute dans tout cela un défaut d’imagination chez l’un, et un paradoxal manque de prise en compte des effets du temps chez l’autre.


Cet équilibre reste présent jusqu’à une dernière scène parfaite, lorsque tout se joue dans les regards et les non-dits, et où une fois de plus, le mensonge, qu’il soit amical ou vengeur, reste l’absolu maitre du jeu des conventions et des relations. Loin de tout effet spectaculaire, il clôt un combat âpre et de tous les instants, sans se départir des sourires et des masques propres à l’époque.


Les masques changent, les combats demeurent.

guyness

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