"Bachelor Mother" aura sans doute beaucoup de mal à trouver sa place au sein des (très nombreuses) comédies produites en masse par l'industrie cinématographique américaine des années 30. Le film de Garson Kanin ne se distingue ni par la perspicacité de son portrait de femme, ni par ses accès comiques relativement modérés, ni par son découpage narratif au rythme un peu fade. Le casting parvient tout juste à l'élever au-dessus de la mêlée moyenne. Le jeune David Niven déjà doté d'un certain charisme british, partagé entre froideur, attention et nonchalance mesurées, son père (dans le film) Charles Coburn, grand-père de James (en dehors du film), empreint d'une sévérité bienveillante propre à son statut de patron de magasin de jouets durant les fêtes de fin d'année, et surtout la pétillante Ginger Rogers, son ironie mordante et sa malchance innocente qu'elle traînera pendant 1h20 : ces trois-là sont la véritable charpente de "Mademoiselle et son bébé".
Il y a bien quelques dialogues qui font mouche, comme cette réplique cinglante lorsqu'il est question de déterminer la paternité de trois prétendants plus ou moins involontaires : "— I'm not the father. — I don't care who the father is. I'm the grandfather." Mais il y a très peu de bonnes choses à se mettre sous la dent à ce niveau-là, à l'échelle du film dans son ensemble, surtout si on le compare à la vivacité d'esprit des comédies de la même époque signées, au hasard, Ernst Lubitsch. Par contre, le regard sur cette "ready-made family", cette famille toute prête, clé en main, est d'une étonnante bienveillance pour l'époque. La morale est sauve (pour les mœurs d'alors) car l'enfant abandonné trouvera une mère puis un père de substitution, et on aurait pu imaginer quelque chose de beaucoup plus corrosif sur le thème de la maternité non-désirée, en faisant de Ginger Rogers la véritable mère par exemple. Au-delà de l'obligation morale censée s'imposer aux personnages qui tombent par hasard sur un nouveau-né abandonné, le film évolue par la suite vers un portrait plus réussi dans la douceur de son point de vue sur un couple de parents "illégitimes" que dans la farce et les frasques qui accompagnent cette parenté non-désirée.
Dans ses détails, "Bachelor Mother" ne manque pas d'arguments intéressants : il est notamment question du statut précaire des femmes au travail, embauchées seulement pour quelques semaines pour accompagner la hausse d'activité liée à la période de Noël et dont la direction se sépare quand et comme bon lui semble. Les rôles de mère et d'amante ponctuelle sont également abordés, avec une séquence particulièrement réussie dans laquelle Niven invite Rogers pour aller à un bal, en la faisant passer pour une Suédoise ne sachant pas parler anglais pour que la pauvre employée ne fasse pas honte au riche héritier auprès de ses semblables. Sous ses aspects de conte de fées édulcoré, déjà, la barrière entre les classes sociales était gentiment dénoncée. Plusieurs gags réussis, à défaut d'être transcendants, insuffle le rythme minimal pour suivre la comédie avec un plaisir léger mais continu : deux pages malencontreusement collées dans un livre promouvant l'éducation "scientifique" des enfants ou la folie des achats compulsifs et autres dérives mercantilistes d'un magasin suffisent. En termes de postérité, la seule entrave majeure réside dans la sortie, l'année suivante, d'une comédie sur un thème très similaire mais autrement plus réussie : "Rendez-Vous" (The Shop Around the Corner), portant la signature d'un certain Lubitsch.
[AB #194]