Mère / Mer
Pour qui s'est pris la grosse claque des scènes ultra tendues et stressantes de la seconde partie de "El Reino", le film précédent de Rodrigo Sorogoyen, l'introduction de "Madre" fonctionne comme...
Par
le 24 juil. 2020
52 j'aime
11
Madre est le récit d'un traumatisme, celui d'une jeune femme ne pouvant rien faire devant la disparition de son fils, les vagues de la mer déferlant devant elle. La seule chose lui restant, ce cauchemar en tête.
Alors, l'approche du récit par le réalisateur Rodrigo Sorogoyen est intéressante en ce qu'elle n'a pas de structure précise, il s'agit littéralement de nager devant l'inconnu et ici donc, d'une quête de l'impossible par la mère. Ainsi, il n'est pas rare pour le spectateur de ne pas saisir exactement ce que souhaite le personnage ni de comprendre ses actes.
La raison étant, que la mère ne s'est jamais pardonné la disparition de son fils. Ce traumatisme est devenu part d'elle-même, et pour cela, elle a sacrifié sa jeunesse ; les plaisirs en tout genre et n'a jamais pu quitter le lieu où elle aurait pu le sauver. Il est d'autant plus intéressant que de souligner la découverte du personnage de ces moments qu'elle aurait pu vivre plus jeune, telle que la scène ici de boîte de nuit mais encore la virée en forêt. Le personnage s'accorde alors spontanément ces instants, sous l'effet de l'alcool, puis décide d'y renoncer, ne pouvant supporter de s'accorder un moment joyeux devant la pensée ressassée.
Madre est alors, un très beau film sur la reconstruction après le traumatisme.
Progressivement ici, la mère tente de se reconstruire en essayant de vivre ce qu'elle aurait pu faire avec son fils si l'accident n'était pas arrivé. Elle ne peut dès lors plus cesser de revoir cet adolescent, de lui répondre et de prendre soin de lui : contre les insultes, railleries et obstacles devant elle, elle choisit de risquer sa réputation pour passer des moments avec lui.
Alors, la mère n'essaye pas de se racheter une conscience, c'est là toute l'ambiguïté du sujet. Elle aime dès lors ce jeune homme comme son fils, elle ne peut contrôler ses émotions et réactions, puisqu'ayant peur de perdre à nouveau ce qui lui manque le plus : l'Amour d'un fils.
L'Amour d'un fils est ce qu'il manque à cette femme, croit-elle. Mais pourtant, Sorogoyen a compris l'entièreté de son sujet en poussant plus loin la réflexion : NON l'amour de ce fils n'est pas ce qui lui manque pour se reconstruire, c'est bien l'Amour tout court. La conversation dans la voiture avec l'adolescent est un adieu, positif et accepté par la mère, celle-ci ayant dès lors intégré qu'elle ne pouvait prendre dans ses bras ce jeune homme éternellement. La mère souhaitait surpasser le souvenir, et pouvoir enfin sauver le fils, cela est chose faite. Mais elle se doit de le laisser tranquille.
Car il s'agit d'une question entière de responsabilité, thème repris ici.
En effet, le personnage décide de ne pas répondre à la véritable mère du jeune homme quand on lui demande si elle aime les gens responsables. En réalité, la mère ne peut plus comprendre ce que cela veut dire, elle qui a eu foi au retour inespéré de son ancien mari, pas arrivé à temps pour récupérer son fils sur la plage ; ne saisit plus ce que cela est. Comment s'assurer alors que ce jeune homme va bien ? Lui demander yeux dans les yeux, le voir; prendre tous les risques quitte à s'introduire dans le domicile d'un autre.
Mais ne pourrait-elle pas gâcher la jeunesse du jeune homme par cette relation ? Sorogoyen réussit sur ce point là son véritable tour de force. Car la proche victime du drame pourrait passer à tout moment en persécuteur. Je m'explique, si la mère n'avait pas dit adieu à ce jeune homme, alors ce dernier n'aurait jamais pu se séparer de ce souvenir, et aurait voulu la revoir. Aurait-il pu se développer correctement et conserver ses rapports avec son père et sa mère ? Là agit le vrai seuil de la responsabilité, reconnaître le fils de l'autre et ne l'aimer alors qu'en ami, sincère, véritable et compréhensif et lui dire adieu.
Enfin, la libération sous les feuilles de la forêt passe tout simplement par le soutien et l'Amour porté par le compagnon. Ramón ne cessera jamais de soutenir celle qu'il aime, mais également de rappeler les limites de sa relation avec ce jeune homme. Alors, oui il s'agira pour l'Amant de lui porter conseil, lui donner le temps nécessaire ; pour le jeune homme lui demandant s'il lui fait penser à son fils, de la serrer dans ses bras. La réponse à la reconstruction n'est pas dans la réitération d'une expérience pour la surpasser mais par l'Amour, dès lors ; salvateur.
Critique rédigée en 2020.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films espagnols, Les meilleurs films de 2020, 2021 : Une année cinématographique et Les meilleurs films des années 2010
Créée
le 30 oct. 2021
Critique lue 73 fois
D'autres avis sur Madre
Pour qui s'est pris la grosse claque des scènes ultra tendues et stressantes de la seconde partie de "El Reino", le film précédent de Rodrigo Sorogoyen, l'introduction de "Madre" fonctionne comme...
Par
le 24 juil. 2020
52 j'aime
11
... Ou « Mère folle », ou « Madre loca », ou « Mad mother », si l’on veut éviter le carambolage linguistique auquel nous invite d’emblée le titre qui s’inscrit à l’écran de la bande annonce, en...
le 24 juil. 2020
48 j'aime
20
Avec Madre, Rodrigo Sorogoyen propose une œuvre qui va nous sortir d'une zone de confort, qui bouscule par sa capacité à troubler, par le biais d'une quête obsessionnelle mais nécessaire et d'une...
le 5 août 2020
31 j'aime
3
Du même critique
Tout droit sorti des cartons Netflix, Athena s’apparente au film de banlieue comme pouvait l’être BAC Nord l’année dernière. Alors que le soldat Abdel peine à se remettre de la mort de son frère,...
le 26 sept. 2022
50 j'aime
6
Il n’est jamais agréable de constater le piètre jeu d’un acteur que l’on apprécie, surtout lorsqu’il est dirigé par un auteur. Le film d’Arnaud Desplechin est une souffrance constante, paralysée par...
le 23 mai 2022
37 j'aime
3
Il n'était pas possible d'attendre quoi que ce soit de ce deuxième volet du déjà très oubliable Black Panther, pour la simple raison qu'il n'y avait encore rien à ajouter à la matière très fine de...
le 20 nov. 2022
20 j'aime
1