Le hasard. Chose formidable, inexplicable, implacable, heureuse et dangereuse. Deuxième rencontre avec Paul Thomas Anderson, après un premier essai réussi devant There Will Be Blood, de huit ans le cadet du film dont il est question aujourd'hui. C'est un peu le hasard qui m'a guidé vers le visionnage de Magnolia. Depuis quelques mois déjà, il sommeillait, attendait, et le jour d'un départ pour un trajet de train de plus de trois heures, le choix s'est fait de lui-même, sur un élan d'impulsion, peut-être de hasard ou simplement par un coup du destin, deux notions au cœur du film de Paul Thomas Anderson.
Au fil de mes aventures cinématographiques, j’ai eu l’occasion de voyager à travers le temps, découvrir des mondes fantastiques, vivre des histoires formidables et exceptionnelles. Mais ce que j’ai compris avant tout, c’est que ce qui est le plus dur à filmer et à retranscrire à l’écran, c’est la vérité, l’authenticité, ce qu’il y a de plus brut chez l’humain. Et souvent, cela force à être relativement exigeant envers le spectateur. Magnolia est de ces films, un drame choral qui s’étend sur trois heures, une durée qui pourrait faire fuir plus d’un, et on ne leur en voudrait pas spécialement, bien qu’on ne puisse pas non plus douter du fait qu’ils ratent ici quelque chose d’important.
Avec une introduction tout à fait déconcertante et étonnante, le film fait du hasard et du destin ses thématiques principales pour confronter l’existence de différents personnages parfois familiers entre eux, parfois pas, lesquels se retrouvent tous liés entre eux malgré eux. Les vies commencent, s’écoulent, se terminent, les egos parlent, les cœurs se brisent, les jeux de faux-semblants vont bon train dans une vaste mascarade humaine aux allures de spectacle pathétique où jamais l’être humain n’a semblé aussi fragile. Chacun se veut maître de son destin, chacun vit tant bien que mal avec son passé, rumine sa colère, se noie dans ses regrets, se lamente sur son présent, obscurcit son futur… Magnolia est un film qui fragilise ses héros pour les montrer sous leur vraie nature et faire prendre conscience fait que le destin n’est pas qu’une simple fatalité, que notre passé nous suit, qu’il n’existe pas de futur sans passé.
Car dans Magnolia, il est surtout question de rupture. C’est la rupture avec le vieux monde, de nombreux souvenirs, de vieilles souffrances et de vieux regrets incarnés par le vieil Earl Partridge, pièce centrale de ce puzzle humain. Les langues se délient, les esprits s’échauffent et se libèrent pendant qu’une pluie battante s’abat sur la ville, suivie par une improbable averse de grenouilles. Dans une imagerie très biblique qui rappelle le Déluge et les Plaies d’Egypte, Magnolia trouve un dénouement à la fois heureux et désespéré, le symbole d’une libération doublée d’une mise en garde. Ces éléments représentent également la fin d’un monde et le début d’un nouveau, une éclaircie après une tempête qui vient achever de longs jours sombres et moroses.
Résumer Magnolia serait parfaitement vain et inutile. Drame fleuve et puissant sur les êtres humains, il torture ses héros pour ouvrir les consciences et éclairer. Porté par des acteurs tous en état de grâce, il est à la fois imposant et intimiste, ne semblant jamais s’éterniser, allant crescendo, capable de rendre l’être humain abject mais aussi touchant et attachant. C’est un film qui ne se veut ni totalement pessimiste ni totalement optimiste, c’est un drame vrai, dans lequel chacun trouvera ses propres lectures et ses propres leçons à retenir. Un film qui restera toujours dans un coin de la tête et ne finira jamais de nous faire réfléchir.