Un Maigret déconfit (de canard)

L'homme au chapeau et à la pipe semble diminué. En situation durable de superfluité pondérale, le souffle court, il est usé, le moral en berne. L'homme n'a plus le droit de fumer la pipe, sous peine, a sous-entendu le médecin, de la casser pour de bon.
La dictature des diététiciens lui a ordonné de se restreindre, de se rationner, de se priver.
Abattu par la nouvelle, dépité, il enquille tristement des bordées de carafons de blanc. Les meilleurs petits plats de Madame Maigret, tel son fameux bœuf miroton, le laissent désormais maussade et bougon.
Devant la gravité de la situation domestique, Madame Maigret a une idée, celle du dernier recours. Elle décide, en accord avec le médecin de famille et Patrice Leconte, de lui faire reprendre à zéro l'enquête Maigret et la Jeune Morte, menée par le directeur du cirque Jean Richard en 1973, histoire de redonner à son mari le goût de la vie.

Le procédé paraît un peu tordu, mais son mari, elle le sait, ne se sent bien que sur les scènes de crime, à la morgue, dans les chambres de bonne sordides, au cours d'interrogatoires où il peut fouiller les tréfonds de la misère humaine en se présentant avec les seuls mots qui peuvent encore lui procurer satisfaction : Commissaire Maigret, 36 quai des orfèvres ! Elle invente donc une sorte de jeu de rôle grandeur nature, une murder party spécialement étudiée pour retraité fatigué ayant tendance à prendre de la bouteille. Parmi les règles du jeu, le joueur devra ainsi monter plusieurs fois six étages sans ascenseur. Des figurants seront payés pour incarner les personnages de telle sorte qu'il ne se doute de rien, le spectateur non plus. Des jeunes figurantes seront embauchées pour lui faire oublier son idée fixe : sa malheureuse fille décédée dont il n'a jamais su faire le deuil.

Le jeu de rôle, il est difficile ici de parler d'une histoire, alterne donc les scènes de tendresse du couple « père »-fille de substitution Depardieu – Jade Labeste ou Mélanie Bernier avec la perversion du couple mère abusive-fils perturbé Aurore Clément- Pierre Mourre. Maigret tend un piège de Jean Delannoy a dû être le modèle du jeu de rôle appliqué par les scénaristes Jérôme Tonnerre et Patrice Leconte. Le film est fidèle à l'univers sombre, désespéré et plombant de Simenon, dramatisé par la musique de Bruno Coulais et Michel Nyman. Les pièces sont mal éclairées, les personnages suintent la solitude, le temps est toujours couvert, parfois il pleut. On ne croit bien entendu jamais à l'enquête qui n'est là, comme dans les livres de Simenon que pour la mise en valeur de l'atmosphère lourde, comme dans les Maigret de Simenon que j'ai eu la mauvaise idée de lire à l'adolescence. Ces souvenirs d'ennui et de perte de temps sont remontés à la surface pendant le film. Mais Patrice Leconte est certainement sincère dans son admiration pour Simenon, après son Monsieur Hire, et Depardieu est convaincant dans le rôle du commissaire robuste. Il n'empêche. La copie rendue pèche dans sa conduite narrative, et n'apporte pas grand chose de plus au personnage.