Pourquoi cette accroche ferroviaire ?
Parce que dès les premiers instants de ce film, on constate l'excellente richesse d' inspiration du réalisateur (Jean Delannoy) qui nous fait voyager à bord d'un train et nous montre le défilement des paysages au travers d'une baie vitrée. Images vues de 3/4 arrière et dans le dos d'un voyageur assis, dont on ne voit du visage qu'émerger une pipe... On se dit instinctivement que c'est Maigret puisque pipe et personnage étaient indissociables, et en 1959, un homme non-fumeur et n'ayant pas fait son service militaire était un homme "diminué" pour beaucoup de femmes !
Une pipe qui me fait aussi penser à ce peintre belge génial qu'est Magritte.
Un train censé se diriger vers Moulins (Allier) car l'intrigue de Simenon, dont est tirée ce film, se déroulait au château de Paray le Frésil à une vingtaine de kilomètres de là... Mais la gare n'est pas la réelle de l'intrigue non plus...
Dans le film, selon les scènes de châteaux, les plans on été réalisés à Courquetaine (Seine et Marne), des Mesnuls (dans les Yvelines)... L'église n'est pas non plus l'originale, pas plus que le café de l'intrigue...
Quant à la superbe voiture de la comtesse de Saint-Fiacre ressemblant à une Rolls, ce n'est pas un fiacre mais j'ai cru deviner une "Hispano-Suiza" de l'aporès-guerre mais sans garanties ! Je laisse la parole aux spécialistes !
En tout cas, Delannoy ne s'est pas laissé aller à la facilité cherchant à respecter dans la mesure du possible le cadre, l'ambiance voulus par Simenon...
A l'exception du coup de coeur du commissaire pour le vin "Saint-Pourcin" soigneusement éludé ?...
Je tiens ce Maigret de Gabin pour le meilleur de la série... C'est d'ailleurs ce film qui m'a fait découvrir l'acteur et son immense talent... Pourtant ce long-métrage avait failli ne pas se faire, l'acteur et Delannoy n'y tenant guère après le succès de "Maigret tend un piège" : un peu plus de 3 millions de spectateurs à la sortie.
Ne sachant rien refuser aux producteurs, les deux compères finirent par se soumettre et sortirent le film l'année suivante : l'enthousiasme du public fut le même avec 2 868 465 entrées, c'est dire le peu de déperdition d'une année à l'autre ! Dommage pour eux !
Ce, sans moyens considérables (encore en noir et blanc !) ni tapage publicitaire excessif, et Gabin est la seule star du film, même si Auclair apparaît comme un second couteau apprécié, mais pas encore au niveau d'un Delon par exemple... Robert Hirsch nous fait aussi une démonstration prodigieuse de ses talents, mais nul ne démérite... Tous les comédiens sont à leur place et font ce qu'on attend d'eux... On reconnaît le visage de certaines gueules de cinéma habitués des petits rôles (comme le chauffeur de maître), mais sans pouvoir y relier un nom...
Avec ce souci du détail que j'apprécie chez Delannoy : Maigret a vécu son enfance dans ce village où il revient porteur d'une lettre anonyme de menaces de mort envers la comtesse pour laquelle travaillait jadis le père de Maigret comme régisseur...
Et il reprend ses habitudes de gosse en jetant des cailloux sur une cloche pour la faire résonner ! De la commerçante chez laquelle il achetait des bonbons...Souci du détail qui ajouté à d'autres fait que ça "sonne vrai".
Par contre, le caissier qui ferme à clé le bureau de son coffre-fort en laissant la clef sur la porte ne fait pas très professionnel et m'aurait valu un blâme de mon employeur si je m'étais laissé aller à pareille négligence...
Gabin est ici encore meilleur que dans celui qui "tend un piège"... Il a définitivement enfilé le costume et s'est habitué à la pipe...Mais on dirait qu'Audiard, dialoguiste, s'est plus encore identifié au personnage car ses textes collent mieux au ton général de l'histoire. Et l l'adrénaline du polar.
Si je devais emporter cinq films sur une île déserte, celui-ci en ferait partie... Pourtant je le connais par cœur... La première fois, je me suis laissé emporter par l'intrigue et la recherche de l'assassin présumé qu'on ne découvrira (peut-être) qu'à la fin ?...
Mais à chaque rediffusion, je découvre d'autres choses comme cette montée progressive du suspense, ces soupçons qui vont de l'un à l'autre... vis à vis d'une femme dont la générosité et les largesses n'avaient pas de limites !
Le tout sur fond d'aristocratie, de religion et d'éducation judéo-chrétienne, toutes choses qu'on ne perçoit plus de la même manière de nos jours...
Un véritable instantané d'une époque mais aussi la satire de professions comme le toubib qui n'a pas tellement fait son boulot, et qui expédierait bien rapidement un permis d'inhumer pour aller plus vite rejoindre ses potes à la chasse...
Film d'autant plus appréciable qu'il s'affrontait cette année-là à une foule d'excellents crus comme "La vache et le prisonnier" de Verneuil, mais aussi "La belle au bois dormant", "la jument verte", "les liaisons dangereuses" (...) ce qui ne l'empêcha pas de figurer avec une enviable 21° place au box-office français... Pas mal pour un second cru... Un must à ne pas laisser passer :
ça tombe bien, les responsables de programmes, notamment Paris 1°, l'épinglent souvent à leur tableau... de chasse !
Certainement la meilleure interprétation de tous les Maigret du cinéma et j'intègre ceux des Cremer ou Richard dont certains n'étaient pourtant pas mauvais non plus.
Je vous rappelle que la fille de Delannoy (Claire) a ouvert un musée à Bueil (Eure) en mémoire de l’œuvre de son père, lequel a vécu centenaire !
Paris Première le 05.03.2022-29.03.2022-24.03.2023-31.05..2023-13.01.2024-20.01.2024-