A priori, un film au message clair qui dénonce la spéculation financière en Italie, en en révélant progressivement les rouages au spectateur qui assiste impuissant à la défaite de la gauche, pourtant la seule à vouloir faire la lumière sur l'effondrement d'un immeuble dans le taudis de la ville. Mais la morale du film est plus complexe qu'elle n'en a l'air. Si c'est bien une œuvre qui montre et dénonce les magouilles qui se cachent derrière la démocratie, c'est surtout un tableau réaliste impitoyable de la vie politique d'une ville du sud de l'Italie, tableau imaginaire mais dont le réalité dépeinte est pourtant tout à fait réelle, comme l'indique sentencieusement la phrase qui s'affiche à la fin.
Face à De Vita, le communiste qui n'a de cesse de s'indigner de l'immoralité de ses adversaires au conseil municipal, se dresse Nottola, l'entrepreneur ambitieux dont on comprend bien vite qu'il joue le rôle de méchant, mais qui se révèle finalement assez ambigu. Sans doute responsable de l'accident qui cause la mort de deux enfants, il est pourtant le seul personnage à proposer une voie de sortie aux pauvres du taudis en faisant construire des immeubles modernes, avec l'eau, le courant... Alors que l'orateur communiste défend sans ambiguïté la juste cause, on sort du film avec l'étrange sensation que le vainqueur, c'est bien l'avide, l'entrepreneur qui rêve de bâtir un empire immobilier, de devenir millionnaire, de toucher un maximum de bénéfices, contre les politiciens qui débattent sans fin, s'allient et se trahissent, mais n'arrivent à rien. Lui se présente comme un homme simple, qui ne fait qu'investir pour assouvir son appétit personnel plutôt qu'à des fins philanthropiques, mais qui reste le seul à apporter quelque chose aux pauvres de la ville, qui votent d'ailleurs au grand désespoir du leader communiste pour les "exploiteurs".
On ne peut que s'étonner d'ailleurs que, dans un film engagé très à gauche, lorsque le spéculateur Nottola propose au communiste de voir quelque chose de concret et qu'il lui montre l'équipement des HLM qu'il a fait construire, celui-ci n'ait rien de plus à répliquer qu'une énième dénonciation de son immoralité. Ne faut-il pas comprendre que les politiciens, même les plus purs moralement, sont tout simplement impuissants à changer quoi que ce soit, et que seul un renversement économique et social, une révolution, pourrait transformer la politique véreuse à laquelle on assiste pendant une heure et demi ?
Hormis la petite phrase finale sur la réalité sociale qui pourrait le suggérer, le film ne va pas jusque là. A la fin, Nottola siège comme adjoint au conseil municipal, il continue à construire des barres d'immeubles à perte de vue, spéculations et manigances ne prennent pas fin. Mais que faire d'autre ? "En politique, l'indignation morale ne sert à rien." dit, lucide, un partisan de la droite qui convainc le chef des centristes de ne pas lui retirer son soutien. C'est la seule leçon claire qui se dégage de tout ce fatras de discussions qui s’éternisent parfois un peu trop.
Malgré ces quelques longueurs, le film est néanmoins bien plus qu'un simple pamphlet social et politique contre la spéculation, il n'est pas qu'un tract révolté contre les liens occultes entre politiciens et spéculateurs : il s'agit surtout d'un tableau intelligent et complexe de la politique qui met en relief les paradoxes de la démocratie et du progrès, et qui pose plus de questions qu'il ne donne de réponses : faut-il défendre à tout prix la probité morale, quitte à se condamner à l'inaction ? La politique peut-elle combattre la misère par de grands discours, ou bien doit-elle déléguer cette tâche à l'ambition individuelle d'entrepreneurs sans scrupule, quitte à sacrifier le strict respect de la loi ? A moins que ce combat soit vain, si on ne change pas auparavant la fameuse "réalité sociale" qui engendre une telle confusion politique...