Considéré comme une parenthèse amusante dans l'oeuvre d' Alfred Hitchcock, et parfois minimisé de façon injuste, Mais qui a tué Harry? est pour moi au contraire un film à réhabiliter d'urgence. C'est une comédie policière où l'humour noir hitchcockien atteint des sommets macabres, un humour noir très anglais au flegme caractéristique qu'affectionnait le Maître. Celui-ci vient de tourner le Crime était presque parfait, Fenêtre sur cour et la Main au collet, 3 films à suspense, 3 grands succès commerciaux, il était libre de choisir son prochain sujet et de s'autoriser une petite récréation si je puis dire. Délaissant le décor des grandes métropoles pour la campagne du Vermont, et le drame criminel à suspense pour la comédie noire, Hitchcock réutilise cependant un thème qui lui est cher, celui de la culpabilité et de ses transferts, et si le film est moins poussé que les films que j'ai cités, il n'en est pas moins un film très personnel dans l'univers du Maître.
Tout commence par 3 coups de feu dont l'écho se perd dans un bois automnal, chaque villageois va se croire responsable de la mort de ce Harry dont on ne verra presque jamais le visage, il n'est pas important, ce n'est que ce que Hitchcock appelait le "McGuffin" de son intrigue, ce qui déclenche les motivations des personnages qui vont passer leur temps à enterrer et à exhumer 4 fois ce cadavre encombrant dont ils veulent se débarrasser.
L'intrigue repose entièrement sur cette astuce de départ, et ce n'est que grâce à l'invention d'Hitchcock que la situation retient notre intérêt. Le film ne verse pas dans une comédie où l'on rit aux éclats, l'humour est ici raffiné et intellectuel, très personnel comme je le disais, peut-être trop, car si Hitchcock y a mis tout son talent, le film ne reçut pas un accueil favorable de la part du public américain, il n'y a qu'en France que des critiques s'enthousiasmèrent, tel Truffaut encore, qui relevait le ton absurde voulu par Hitchcock, et son don d'enrichir un scénario qu'il triture dans tous les sens. Ce scénario est en effet adapté d'un roman auquel il est resté fidèle, et où il se livre à une brillante étude satirique des comportements humains.
Refusant les grosses vedettes, Hitchcock préfère employer de bons acteurs de second plan, John Forsythe quasi débutant, incarne un jeune peintre sans succès (il rejouera sous la direction d'Hitchcock dans des TV-films de sa série Alfred Hitchcock présente et aussi dans L'Etau), Edmund Gwenn incarne un vieux capitaine adepte de la chasse au lapin, Mildred Natwick est une vieille demoiselle fouineuse, Shirley MacLaine est une charmante jeune femme et ex-épouse du défunt Harry, Royal Dano est un sheriff un peu naïf. Hitchcock les utilise un peu comme des pions qu'il déplace sur un échiquier, c'est très drôle, c'est une façon de marquer une humanité dérisoire. A propos de Shirley, c'est son premier film, c'est une découverte d'Hitchcock, elle s'y révèle déjà pétillante, et le film lui assurera une célébrité qui sera à l'aube d'une belle carrière.
Le décor enfin apporte un plus, le film est tourné dans une idyllique campagne du Vermont au moment de l'été indien, là où les arbres ont cette coloration ocre, roux et jaune composant ainsi une symphonie superbe de la nature. Mais qui a tué Harry? marque aussi les débuts de la collaboration d'Hitchcock avec Bernard Herrmann (8 films ensemble), et sa partition apporte également beaucoup à l'atmosphère de ce film peu commun dans l'oeuvre du Maître, où il joue avec malice sur les quiproquos, les présomptions et les faux-semblants, renouant au passage avec le ton de certains de ses films anglais, et où l'humour et l'intelligence se marient avec un grand brio. C'est une vraie leçon de cinéma qui n'a rien perdu de son charme irrésistible.