La capacité de James Wan a bousculer les codes de l'horreur avec Malignant est un excellent baromètre pour mesurer la propension du public actuel à s'acclimater aux desideratas du genre. Le geste n'aura pas été salué loin de là. À peine quelques cinéphiles pointus pour en discerner les racines d'appartenance et le plaisir qui en découle. C'est peu mais c'est aussi jouir de l'exclusivité de la proposition. Un raccourci intellectuel permettrait de tendre la main et de jeter l'objet inapproprié au dévaloir comme se sont empressés de faire certains sites spécialisés dans le genre. L' ironie et la médisance du texte avant le sempiternel reflexe sous forme de mea culpa quelques mois plus tard. Taxé sans commune mesure de nanar, petit terme générique très prisé pour un maximum d'effet en société et souvent synthèse d'une méconnaissance, Malignant fut une écharde mal pensante pour le spectateur occasionnel. Mais surtout la folie de Wan fut le révélateur cinématochimique d'une forme "jamais vu depuis des lustres" sur grand écran en opposition totale avec la radicalité d'un cinéma mainstream américain insinué dans nos esprits et nos rétines depuis une quinzaine d'années. Denis Villeneuve, Christopher Nolan, Paul Greengrass (Jason Bourne)* la paire Michael wilson/Broccoli avec le Bond de Daniel Craig sans omettre James -Conjuring- Wan lui-même ont participé à cet élan atheiste des formes et des thèmes cinématographiques. Que l'on aime ou pas leur cinéma, l'objectif s'apparente à ne plus distiller cette essence fantaisiste/magique/onirique issue des tours de passe-passe de Cameron ou Zemeckis pour ne prendre que deux figures emblématiques des trente dernières années. Aujourd'hui, les chefs de file n'usent plus de subterfuges pour sublimer la mythologie, ils rationalisent et humanisent le comportement de leurs héros (Bond et *Batman *dépressifs) , désacralisent les villes fictives (Gotham), gomment l'exotisme (JasonBourne), rapprochent les highs concepts de théories scientifiques (Interstellar) ou encore rendent explicables des faits... La nouvelle réalité du cinéma se contemple au travers de nos baies vitrées par le filtre de l'authenticité. L'action pourra toujours être spectaculaire, si la volonté est de comprendre les blessures morales et physiques, alors la proximité entre le spectateur et son héros n'en sera que plus importante...quitte à éduquer tout un nouveau public dans une réalité tangible à l'ombre de la fascination et des secrets. Abrupte et sans concession, Malignant vient d'un seul coup d'un seul briser l'édifice réaliste déconstruisant au passage la saga rustiquo-catho en invoquant une entité physique de belle envergure plus à même de remplir les espaces vides investis autrefois par les éctoplasmes de Conjuring. Via* Malignant*, James Wan concocte en secret le retour impossible d'un sous genre tenu par un carré particulièrement prolixe dans les années 70-80 : Dario Argento, David Cronenberg,** Brian De Palma** et Frank Henenlotter. L'alliance des chairs putréfiées, des mains gantées et des identités troubles immortalise les nouveaux monstres oubliés suintant un liquide physiologique par les pores du derme. Quelle pensée cinéphile n'aura pas mentalement flirté avec la génitrice pondeuse de Chromosome 3 ? L'asocial difforme de Wan rejeton vomitif de Scanners, Soeurs de sang, Basket Case et Suspiria explose sa véhémence aux quatre coins du cadre sans que le spectateur comprenne que tout cela se fait au prix d'une exploitation déjà existante depuis plusieurs décennies. Les repères éclatent de toute part et la préciosité à laquelle les yeux délicats étaient autrefois habitués s'érode à mesure que s'entrechoquent les genres. Malignant dialogue avec le passé sans surexposition politique comme l'avait souligné le Scanners de Cronenberg à l'aide de la puissance de l'esprit . Il ne manquera qu'au réalisateur de Saw un sang noble afin d'élever l'objet à hauteur de ses aïeuls. La traçabilité n'étant pas une fin en soi, la noblesse non plus.
Le cancer de Wan s'expose néanmoins à une forme de gratuité graphique alors que ses pairs se contentaient de rester dans un périmètre bien précis en explorant les effets à leurs justes mesures. En cela, le film repousse la notion d'exploitation jusque dans ses retranchements : cartographie floue des lieux héritée du giallo et body horror . Malignant étire la physicalité de son sous genre pour une exploration en profondeur de ses capacités visuelles. Machine imparfaite, certes mais un idéal de gourmand.