Le film nous présente dans ses premières minutes deux extrêmes :
- L'enfant, qui se plaît à jouer dans les décors grandioses qui entourent la maison
- Le Colonel, vieil homme alité que, au contraire de la fillette, l'on emprisonne dans les derniers recoins de la maison
Dans les deux cas, la mort semble être au centre des préoccupations du film, l'enfant n'étant manifestement pas affecté par la blancheur angoissante de la neige qui recouvre tout et tout le monde sans distinction, et le vieillard étant apparemment proche du trépas. Et si le film prend des chemins alambiqués, c'est encore l'idée de la mort qui le termine : plus les personnages, par leur âge, sont proches de leur dernier instant, plus l'idée de voir l'air se couvrir d'un voile imperceptible mais dérangeant est présente.
La mort ne sera que très peu mentionnée directement par les personnages, ou alors pour la qualifier de "mal suprême". Ils seront plus volontaires pour parler de résurrection, et cette manière d'aborder une idée par sa négation est révélateur de leur effroi face à la première. Les moyens de s'aveugler pour ne pas avoir à s'y confronter sont nombreux : on pense d'abord au Colonel qui incarne un peu trop le morbide, et est donc repoussé, voire dissimulé, laissé aux soins des domestiques. On pense également à la fillette qui sera retenue par une domestique alors même qu'elle tente d'atteindre les adultes devenus aveugles de sa présence, et à qui l'on demande dans l'introduction de revenir dans la maison par sécurité. Une maison à l'allure révélatrice de la mentalité de ceux qui y vivent : des colonnes gigantesques rappelant autant les forums grecs et leurs discussions vénérables (les dialogues du film) que l'empire romain et son désir d'Absolu se manifestant par la conquête du monde (même pour les personnages les plus pragmatiques, la finalité de leur discours reste toujours la même : l'universalité). Des colonnes autant soutien des fondations que barreaux de prison. Et une fois la fillette rentrée, le berger, protecteur, guide, traversant l'écran comme une solution à portée de regard, à condition d'avoir la volonté de sortir pour affronter l'extérieur.
L'extérieur, les personnages y semblent attirés, eux qui déambulent tels des fantômes dans leur manoir en ressassant les mêmes discours depuis et jusqu'à l'éternité (les thèmes choisis pour être actuels : le sentiment de perte de valeurs, le rapport à l'envahisseur, l'Europe...), et voient sans regarder les fenêtres blanchies par la lumière trop intense pour être naturelle. La mise en scène leur fait danser sa chorégraphie vaine, les empêchant d'abord de se regarder de face, les faisant se cacher derrière le bord du cadre, comme on se cache dans une posture théâtrale (les plans séquences de la première moitié du film qui, lié au jeu des acteurs, brouille la limite entre le "24 fois la vérité par seconde" du cinéma et la performance forcément feinte du théâtre), comme on se cache dans des idées philosophiques à n'en plus finir.
Maintenir une illusion en place est forcément un travail ardu qui demande de feindre l'oisiveté. Ainsi du rôle des domestiques, en permanence dans le fond, que ce soit visuellement dans le flou du plan que par le son et le cliquetis des couverts, des plateaux de nourriture, et de tous ces instruments de confort. Passé l'introduction, le premier plan revient d'ailleurs au principal valet, fermant à clé un cabinet que l'on imagine contenant les secrets les plus inavouables de l'hôte, afin qu'il puisse profiter pleinement de sa débauche verbale, à l'image des deux voyageurs d'Alexandrie desquels il sera question lors de cette scène.
D'une manière assez surréaliste, les personnages semblent mourir par balle durant le film, pour finalement renaître et pouvoir continuer leur discussion. Comme si, malgré leur désir de résurrection enfin devenu réalité, ils ne pouvaient que répéter les mêmes erreurs. Un pessimisme que l'on prête assez aisément au film, et par lequel on peut comprendre que l'oeuvre se complaise dans les mêmes travers que ceux qu'il dénonce, principalement l'excès d'idées au détriment de toute vie. Reste éventuellement une solution à ce problème : Olga, son visage impassible face aux arguments de ses adversaires, et le spectateur qui ne sait si cette impassibilité, cette austérité qui contamine le film est un moyen d'assumer ses contradictions ou un aveu d'impuissance sur sa capacité à les justifier. On revient à la fillette qu'il aurait peut-être fallu mieux voir, et au Colonel avec lequel il aurait peut-être fallu passer plus de temps.