Malmkrog a tout pour faire peur, un film roumain de plus de trois heures, c'est un huis clos en costumes avec quasiment que des dialogues philosophiques tout du long, mais en fait c'est passionnant.
Ne connaissant pas le réalisateur je ne savais pas du tout à quoi m'attendre, mais j'ai quand même été surpris. Déjà le film est quasiment tourné en intégralité en français et on y suit donc des conversations de gens du beau monde. Des discussions sur la guerre, la religion, le christianisme, l'Antéchrist... Je dois dire que ça a quelque chose d'absolument réjouissant. Le film est pas drôle, il n'y a aucun aspect comique dans ces joutes verbales, tout ça est dit avec un profond sérieux, dans des beaux costumes, avec un français impeccable que plus personne ne parlerait aujourd'hui. Il y a un côté un peu solennel dans tout ça. Et malgré ce côté un peu pompeux et cérémonieux, tout ça m'a, comme je le disais, réjouit au plus haut point.
J'ai l'impression que Cristi Puiu en adaptant un bouquin de Vladimir Soloviev il a réussi à capter l'air du temps de ce que je suppose être la fin du XIXe siècle (ce n'est jamais précisé dans le film). On y voit cette aristocratie qui parle un français parfait, qui parle de l'évolution de la société, des rivalité européennes, pendant que, on le sent, il se trame quelque chose dehors. Une brève partie du film est accordée aux serviteurs qui sont là pour tout faire, apporter les plats, faire le lit, faire la toilette, servir à boire, servir le thé, faire régner l'ordre, voire même jusqu'à rassurer les vieux militaires sur l'état de la société et sur l'infondé des positions les plus révolutionnaires, le temps pendant que ces bourgeois sont là, inarrêtables et se lancent dans des logorrhées et des exégèses bibliques.
Je ne peux que supposer, vu que je n'ai pas lu le bouquin, mais qu'on voit là la représentation que se fait le réalisateur de ces bourgeois...
Après ces échanges sont géniaux. C'est très clairement fait pour ceux qui aiment se triturer le cerveau, qui aiment écouter des arguments, suivre une conversation, voir comment elle évolue, comment les gens prennent position dans un camp ou dans un autre et surtout c'est sublimé avec la manière que peut avoir Cristi Puiu de le mettre en scène.
C'est ça qui est fabuleux, il va enchaîner plans séquences, du champ contre champ, de légers mouvements de caméra pour accompagner les personnages qui se déplacent dans la pièce tout en écoutant leurs compères converser... Et ce qui fonctionne vraiment bien c'est que l'on a ainsi plusieurs histoires qui nous sont racontées... On voit chaque personnage qui regarde autre chose, en arrière plan les serviteurs qui s'affairent... Tout ça a un côté très vivant malgré le côté solennel et pompeux et c'est vraiment le cadrage qui va donner la vie à ce film, qui fait qu'on n'est pas sur une scène de théâtre à disserter.
En somme le film a plus à proposer que la simple admiration de la rhétorique (fort appréciable au demeurant) des protagonistes.
C'est clairement un film où on ne sent pas le temps passer, où il ne faut pas se déconcentrer un instant sinon on perd le fil du raisonnement et où les quelques pauses que s'accorde le récit sont salvatrice pour le spectateur.
Je lui reprocherais peut-être juste sa froideur, son manque d'émotions, après ce n'était sans doute pas le but d'émouvoir avec cette histoire d'aristo érudits, mais pour comparer avec l'incomparable, Winter Sleep, qui possède aussi son lot de dissertations sur fond d'alcool et de décors enneigés avait réussi à introduire de l'humain... Là ces bourgeois semblent être des machines à réciter leurs savoir (j'ai souri lorsque la femme au début dit qu'elle a lu sur le sujet et en plusieurs langues !), c'est pas un reproche, ça aide à placer ces gens là en décalage avec les changements qui se produisent en ce moment même dans le monde, mais il est impossible de s'identifier. Les discours tenus étant forcément des discours datés.
J'aime ainsi beaucoup cet européiste convaincu, pour lui la Russie doit s'allier avec l'Angleterre et les européens se rapprocher, avant de tenir un discours raciste sur des africains qui veulent leur indépendance, avant de se prendre une des plus belles déculottés argumentatives du film.
Franchement c'est un régal de chaque instant.