Un film de plus que je traine dans ma collection depuis des années et un film de plus que j’aurais dû regarder depuis bien longtemps. Oui, autant le dire de suite, Malveillance est un très bon film et il aurait mérité un visionnage et une chronique depuis longtemps. Auréolé de nombreux prix, Malveillance est un thriller claustrophobique minutieusement construit par Jaume Balaguero, réalisateur espagnol qui a de nombreuses fois fait ses preuves puisqu’on lui doit, entre autres, les films La Secte Sans Nom (1999), Darkness (2002), Fragile (2005), [Rec] (2007), [Rec]² (2009) ou encore plus près de nous Muse (2017). Avec Malveillance, il nous raconte l’histoire de César, un concierge parfait, du moins en apparence, un peu trop serviable pour être honnête, qui va s’avérer être un manipulateur malveillant, le genre de psychopathe qu’on espère tous ne jamais rencontrer. Jaume Balaguero signe ici sans doute son meilleur film, une œuvre froide, puissante, malaisante, servie par des acteurs au sommet de leur art.
Jaume Balaguero réussit le tour de force de nous présenter en à peine quelques plans ses personnages, son décor, son intrigue. En à peine quelques minutes, on découvre le quotidien de César, ses habitudes, sa solitude, l’indifférence que lui portent bon nombre de ses congénères car, après tout, il n’est que concierge dans un immeuble cossu. Tout est en place très rapidement, déjà on éprouve une forme d’empathie pour le personnage, voire de pitié, il ne reste plus au réalisateur qu’à prendre le temps de lancer son piège. Le piège, il est destiné à Clara. Car Clara est souriante, heureuse quelle que soit la situation. Et César ne le supporte pas. Il n’est pas heureux dans sa vie et il a décidé que les gens de son immeuble ne doivent pas l’être non plus. Il prend du plaisir à les voir malheureux, ce qui, dans un sens, est la seule chose qui le rend heureux. Sauf que la jolie Clara lui résiste et César va donc tout faire pour arriver à ses fins. Rien de bien méchant au début, mais, voyant que rien ne fonctionne, il va rapidement se faire de plus en plus envahissant, de plus en plus intrusif. Et César maitrise parfaitement l’art de manipuler les gens sous ses airs serviable et bienveillant.
Mais le piège est également destiné au spectateur. Car là où Balaguero est très fort, c’est que l’empathie qu’on éprouve en début de film pour César, on la garde une bonne partie du métrage, et ce malgré tous les éléments extrêmement malsains qu’il incorpore à son film, malgré les agissements complètement immoraux de César. On arrive à avoir peur que Clara découvre ses stratagèmes alors que ce qu’il est en train de faire est particulièrement affreux. On s’en rend compte très précisément lors de la partie de « cache-cache » dans l’appartement de la demoiselle, au point qu’on réalise immédiatement qu’on ne devrait éprouver aucune empathie pour un psychopathe pareil. Oui, c’est très fort. Et aussi un peu dérangeant.
Si ça marche autant, c’est grâce au talent du génial Luis Tosar (Celda 211, Musarañas) qui incarne César. Absolument parfait en control freak constamment au bord de l’explosion, inquiétant à souhait, le duo qu’il forme avec la resplendissante Marta Etura (Celda 2011, Les Derniers Jours) fonctionne à merveille. C’est d’autant plus perturbant d’apprendre qu’ils étaient ensemble dans la vie lors du tournage du film. Au talent des acteurs, il faut ajouter une mise en scène extrêmement soignée. Tout y est millimétré. La gestion de l’espace est un exemple de précision (rappelons que nous sommes dans un huis-clos dans un immeuble), l’ambiance sonore est excellente (on a parfois l’impression d’entendre du Goblins), et la photographie est maitrisée, claire ou foncée en fonction des personnages qui sont à l’écran, puis entre les deux lorsque César se fait bien trop présent dans la vie de Clara. Le scénario est très bien écrit, de façon à faire monter la pression crescendo au fur et à mesure que le piège se referme sur les personnages, et certaines scènes arrivent à instaurer un gros malaise tant elles virent dans le politiquement incorrect (même si l’ensemble n’est pas exempt d’humour très noir). La fin est d’ailleurs une des plus immorales qu’il m’ait été donné de voir mais on regrettera que le film n’aille pas parfois plus loin (la confrontation avec la fillette par exemple). L’exercice qui consiste à nous raconter l’histoire du point de vue du méchant n’est pas le plus simple qui soit, mais Jaume Balaguero y arrive haut la main.
Avec Malveillance, Jaume Balaguero signe une de ses meilleures bobines, si ce n’est la meilleure. Tendu, malaisant, malin, inquiétant, il est surtout extrêmement bien mis en scène et porté par des acteurs parfaits. Un très bon film.
Critique originale : ICI