Guillermo Del Toro est devenu un cinéaste très convoité depuis les succès de ses films « Hellboy » et (surtout) « Le Labyrinthe de Pan » qui dépeignaient dans toute leur grâce le savoir-faire énorme du réalisateur en termes d’esthétique. Une esthétique fabuleuse empreinte de poésie gothique et de féerie noire où le mexicain fait montre d’un talent complémentaire, celui de conteur d’histoire, l’élevant sans mal au rang des metteurs en scène les plus adulés et les plus passionnants (comme Peter Jackson par ailleurs).
Del Toro est un homme qui a avant tout la passion du cinéma, ce pourquoi il ne se montra pas très prolifique d’un point de vue créatif ces quelques dernières années mais bien plus en temps que producteur, un poste certes très fructueux (les producteurs étant les seuls vrais maîtres à bord car par eux passe le budget nécessaire à la mise en chantier d’un film) mais surtout encore plus intéressant d’un point de vue artistique ; le réalisateur y voit là l’occasion de promouvoir la carrière de nouveaux talents ayant pour la plupart du mal à percer dans le monde du cinéma, de jeunes artistes qui ont beaucoup à offrir et qui mérite d’avoir leur chance de prouver leur capacité à raconter une histoire. En d’autres termes, on peut dire que le réalisateur mexicain fait office de consultant sur les œuvres qu’il parraine, sans chercher à se les approprier comme il est assez souvent de coutume bien malheureusement dans le monde du septième art.
Il y eu d’excellentes surprises comme le formidable « L’Orphelinat » de Juan Antonio Bayona en 2007 ou le fort sympathique « Don’t Be Afraid of the Dark » de Troy Nixey en 2010, tous deux réalisés par des metteurs en scène rigoureux dans leur approche de l’esthétique et de l’intrigue (Del Toro leur laisse carte blanche pour ne pas trahir leur propre vision et leur permettre ainsi de mieux s’affirmer) mais aussi de moins bonnes comme c’est aujourd’hui le cas avec « Mama » d’Andy Muschietti.
Il faut savoir que « Mama » est avant tout un court-métrage écrit et développé par le même réalisateur que Del Toro remarqua et apprécia (l’œuvre aborde l’univers de l’enfance, un thème que Del Toro affectionne), au point de proposer à son auteur une version spécialement consacrée au cinéma. L’histoire narre les déboires de deux petites filles, Victoria et Lilly, livrées à elles-mêmes suite à la disparition étrange de leur père dans un chalet au sein duquel ce dernier les avait cachées. Les deux petites sont retrouvées cinq années plus tard par une équipe de recherche - sous la direction de Lucas, leur oncle -, laquelle ramène les petites infortunées terriblement amaigries dans la civilisation pour qu’elles puissent reprendre une vie normale. Là-bas, elles sont recueillies par Lucas et sa compagne Annabel qui aménagent pour l’occasion dans une maison prêtée par le centre hospitalier ayant pris en charge les fillettes lors de leur sauvetage (le scénario nous apprend que Lucas et Annabel sont deux artistes n’ayant pas les moyens financiers requis pour subvenir aux besoins de deux enfants). Mais il semblerait que les deux petites ne soit pas revenues seules de leur périple, que quelque chose les ait suivies et veille sur elles, une présence qu’elles appellent « Mama »…
« Mama » se présente en fait comme un film d’épouvante utilisant pour thème les peurs infantiles, que ce soit de l’enfant lui-même ou de l’adulte qui garde, comme chacun sait, une part d’enfance avec son lot de séquelles, rationnelles comme irrationnelles. La promesse d’une bande horrifique perpétuant son lot de frissons et d’émotions bien assez séduisante sur le papier (car il y a matière à créer quelque chose de solide) mais bien malheureusement survolée dans les faits.
De prime abord car Muschietti joue ses cartes trop tôt lors d’une introduction explicite en terme de visuel bien qu’il se garde de trop en dévoiler, mais aussi dans le traitement de son intrigue qui s’avère des plus conventionnelles dans son traitement.
En résulte un film prenant très vite des allures de monster movie tant il dépeint une ghost story vue et revue au cinéma avec ses effets surfaits et ses plans calculés remplissant le cahier des charges propre à ce genre de production. Là où il aurait été vraiment intéressant de jouer sur le pouvoir de suggestion tant le sujet s’y prêtait (le monde de l’enfance recèle forcément une imagination sans limites propice à de très bonnes idées de mise en scène dans le but de susciter l’angoisse), Muschietti préfère une approche plus frontale et prétexte à une utilisation de CGI qui, pour le coup, montrent la limite de leurs capacités sur certains effets visuels désastreux (en raison sans doute à un budget limité mais pourtant, sa créature est séduisante sur le papier et se révèle même parfois impressionnante à l’écran selon les choix d’éclairages qui se révèlent pour la plupart assez efficaces). On pense d’ailleurs beaucoup au film « Nuits de Terreur » de Jonathan Liebesman en 2002 tant on y retrouve certaines similitudes, notamment dans sa narration.
Des choix peu judicieux finissant par réduire le film à une simple commande de studios réalisée dans la précipitation (on devine facilement que le planning de réalisation devait être assez serré), laquelle n’est hélas pas sauvée par l’interprétation du casting pourtant assez alléchant (le long-métrage crédite la délicieuse et habituellement convaincante Jessica Chastain vue récemment dans « Zero Dark Thirty » de Kathryn Bigelow et surtout Nikolaj Coster-Waldau de la série « Game of Thrones »). Cette dernière n’apporte aucune épaisseur à ses personnages (et là aussi il y avait de la matière, notamment avec celui d’Annabel) et termine d’engouffrer le film dans une telle monotonie qu’il nous est difficile d’en voir la fin. La musique également est à l’avenant et s’illustre, comme on pouvait s’y attendre, dans la parfaite tradition des bandes réchauffées qui appuient à points nommés sur les moments-clefs et l’esthétique même du film, étouffée par des couleurs froides ou ternes, ne parvient pas à emporter l’adhésion du public, si ce n’est peut-être celui des jeunes adultes…
Reste cependant un final relativement étonnant compte tenu du classicisme de l’ensemble, qui appel à une dimension émotionnelle assez inattendu (sans dire que la fin est bouleversante, mais quand bien même, on y était presque !) à laquelle on devine l’ombre d’un Del Toro survolant la séquence, sans vouloir jouer les mauvaises langues bien sûr.
« Mama » est donc une bonne déception qui est d’autant plus agaçante lorsque l’on considère le potentiel énorme du sujet. Il y avait là de quoi créer un film d’horreur à la fois psychologique et glacial, Andy Muschietti à préféré jouer la carte de la prudence en nous livrant un long-métrage d’un classicisme ennuyeux et manquant cruellement d’âme. Tout au plus peut-on qualifier son œuvre de « premier essai » servant à illustrer sa mise en scène et de ce fait, patienter jusqu’à sa prochaine création pour découvrir l’étendu de son talent, mais pour le moment, avec si peu à se mettre sous la dent, difficile de faire preuve d’une réelle indulgence. Je vous invite bien évidemment à découvrir ce film et de vous forger votre propre opinion en espérant que vous lui trouverez plus de qualités que je ne lui ai trouvé des défauts.
A bon entendeur…