Ce film dramatique a, chose de plus en plus rare, une véritable proportion à générer de l'émotion. C'est une histoire tragique et belle dans son récit, une page de vie profonde, racontée par une réalisation toute en délicatesse.
Manchester by the Sea s'ouvre sur un des rares moments de lumière de son discours. Un de ces moments simplement beaux, filmé dans toute son intimité, sans fioritures. Ici, pas de scénarios compliqués, pas de détails superflus. Kenneth Lonergan nous livre une fable familiale construite sur des ruines passées et toujours bien présentes, qui par le talent impressionnant du casting nous explose en plein visage.
Bien évidemment sans entrer dans les détails de la narration, je dirais que le principal atout du film réside dans sa capacité d'acteurs. Mais ce serait en oubliant le travail sur la construction psychologique de chaque personnage, criante de réalisme. Tous les enjeux soulevés sont traités avec sincérité. Manchester by the Sea, même si par bien des aspect reste sur le fil du rasoir, ne franchit jamais vraiment la limite plongeant les films dans le pathos, et ce tour de force est à féliciter.
On peut toutefois noter une ombre au tableau, qui se trouve dans les choix de la bande sonore. Le lien avec l'image peut paraître par moment étroit, voire très contrasté. Certains aimeront et d'autres moins ce que l'on peut considérer comme une prise de risque par rapport à la fluidité du récit. Mon avis reste très mitigé sur ce point.
Autre élément à saluer, une réalisation qui fait la part belle aux émotions, aux silences. Car la communication est un autre des point forts du film. Elle est traitée avec une intelligence et une sensibilité rare, laissant les dialogues pour mettre le temps et "l'intérieur" au premier plan. Cette énergie est servie par une travail étonnant sur la lumière et des cadrages limpides, simples mais jamais simplistes. Mais peut-on montrer le malheur autrement que par son état pur ?
Les notions de deuil, de relations familiales compliquées et de solitude sont mêlées de belle manière sans pour autant être hermétiques. Le débat sur les peurs et les actions de chaque personnage ne semble jamais complètement scellé, ce qui donne une lisibilité et une réalisme d'une grande fraîcheur.
La direction artistique de ce film reste un mystère. Le rôle de Lee, porté avec brio par Casey Affleck est un véritable bijou d'interprétation. Les récompenses sont à mon avis justifiées pour cette performance digne des plus grands rôles de compositions. A son égal, malgré une présence pauvre à l'écran, on peut également saluer la prestation de Michelle Williams qui impressionne.
Le personnage de Patrick est également très travaillé. Ce fils qui occulte son deuil et remplace le personnage du père par son oncle, vivant en parallèle de ses émotions et cherchant réconfort dans son quotidien d'adolescent, est également une des clés du récit.
Le film s'allonge sur près de 2h20, sans pour autant s'éterniser. Tout est à faire, et à reconstruire autour de cette tranche de vie qui baigne dans la misère. Comment dire l'indicible ? Comment partager ces blessures dont l'âme ne peut se remettre ? Peut-on construire un avenir sur les cendres du passé ? Manchester by the Sea a le génie de n'apporter aucune réponse, peut être parce que chacun de nous, parfois les trouve, ou parfois non.
Il n'y aura aucune morale convenue, ou aucun jugement dans ce film. Et c'est en cela que le travail d'écriture est à la fois admirable et déroutant. Il y aurait tant à dire, et pourtant tellement rien, et c'est ce qui résume le mieux cette histoire qui puise son essence dans les désastres de la vie quotidienne.
Kenneth Lonergan offre un hymne à la vie par le voie de la mort, un récit brut et réaliste sur les questionnements même de l'existence. Que ce soit choisi ou non, les personnages de Manchester by the Sea vont de l'avant, affrontant d'une manière ou d'une autre les épreuves de la vie.
Bravo.