Kenneth Lonergan signe avec Manchester by the Sea une œuvre magistrale sur le deuil, la culpabilité et l'impossibilité parfois de se reconstruire.
Au cœur du film se trouve une réflexion poignante sur l'irréversibilité de certains actes. Lee Chandler, magistralement interprété par Casey Affleck, incarne cette vérité existentielle : certaines blessures ne peuvent être guéries, certaines fautes ne peuvent être rachetées. Le film ose affirmer, contre l'optimisme thérapeutique contemporain, qu'il existe des tragédies dont on ne se remet jamais vraiment.
La mise en scène de Lonergan excelle à traduire visuellement l'expérience du traumatisme. Les flash-backs ne sont pas de simples outils narratifs mais surgissent comme des intrusions du passé dans le présent, illustrant comment le trauma abolit la temporalité normale. Le présent de Lee est constamment hanté par un passé qui refuse de passer, créant une temporalité circulaire plutôt que linéaire.
Le film subvertit brillamment les attentes du récit de rédemption traditionnel. Lee n'évolue pas vers une catharsis libératrice ou une guérison miraculeuse. Au contraire, le film suggère avec une honnêteté brutale que certaines personnes doivent apprendre à vivre avec leurs fantômes. La vraie force de Lee réside peut-être dans sa capacité à porter son fardeau tout en continuant d'avancer.
À travers le personnage de Lee et sa relation avec son neveu Patrick, le film offre une exploration nuancée de la masculinité contemporaine. Les hommes du film luttent pour exprimer leurs émotions, prisonniers de codes sociaux qui leur interdisent la vulnérabilité. La violence physique devient souvent leur seul exutoire émotionnel, comme le montrent les scènes de bar.
L'utilisation magistrale du silence et de la retenue émotionnelle fait écho à la philosophie de Wittgenstein sur l'indicible. Ce dont on ne peut parler, il faut le taire, et le film excelle à communiquer l'incommunicable à travers les regards, les gestes, les silences. Casey Affleck livre une performance d'une subtilité remarquable, exprimant des abîmes de souffrance à travers la simple posture de son corps.
Manchester-by-the-Sea n'est pas qu'un décor mais devient un personnage à part entière. Cette ville côtière du Massachusetts, avec ses ciels gris et ses eaux froides, reflète parfaitement l'état intérieur de Lee. L'océan omniprésent rappelle constamment la petitesse de l'homme face aux forces qui le dépassent.
e film développe une véritable métaphysique de la perte, montrant comment celle-ci peut redéfinir fondamentalement notre rapport au monde. La perte n'est pas présentée comme un événement à surmonter mais comme une nouvelle condition d'existence. Lee devient l'incarnation de ce que signifie vivre après l'impensable.
En osant affirmer qu'il n'y a pas toujours de rédemption possible, pas toujours de leçon à tirer, le film atteint paradoxalement une forme de transcendance. Il nous invite à accepter l'existence dans toute sa brutalité tout en suggérant que la simple persistance face à l'adversité peut être une forme de victoire.