Mandibules retrouve la capacité d’émerveillement d’un Rubber (2010), la fascination devant le non-sens qui pourtant signifie dans la logique des personnages. Mais mieux qu’un Rubber, Mandibules ne s’enlise pas dans un propos politique – dénoncer le tourisme de masse par exemple –, s’en affranchit pour ne fonctionner qu’en circuit court à la manière d’une boucle. Notre duo de benêts va d’ailleurs jusqu’à se moquer des phrases toutes faites du type « la vraie richesse c’est l’amitié », déjouant la morale en clausule en lui substituant un retournement de situation qui ouvre des perspectives narratives savoureuses.
Quentin Dupieux signe une comédie réussie, peut-être l’une de ses œuvres les plus abouties, qui investit l’absurde avec une chaleur humaine contrastant la noirceur du Daim (2019) et mobilise pour cela toutes les ressources du comique : mots, caractères, quiproquos, gestes. Les personnages disposent d’une épaisseur véritable, à la fois fantoches apparents et grands enfants qui substituent au monde une somme de fictions déjantées pour mieux en appréhender la méchanceté et l’inertie. Pour les incarner, deux acteurs de talent, épaulés par une Adèle Exarchopoulos hilarante qui tient là l’un de ses meilleurs rôles. Preuve que l’insignifiance d’une mouche peut divulguer un grand film. Que la folie détient en elle une vérité. Et que Dupieux s’affirme tel un alchimiste moderne.