La gigantesque farce de Cronenberg
Dans Maps to the stars, il est question de plusieurs astres; des astres en déclin comme Havanna (incarnée par la merveilleuse Julianne Moore), des astres en devenir comme Benji (Evan Bird); le reste de la constellation reste dans les coulisses, pour ainsi dire : Agatha (Mia Wasikowska), les parents de Benji, et le chauffeur de limousine (Robert Pattinson). Cronenberg réalise là un film de genre, et réemploie toutes les grandes thématiques traitant du microcosme hollywoodien (De Billy Wider avec Nora Desmond, l'actrice névrosée, à Robert Aldrich). Le propre de cette peinture, pour le moins dérangeante de l'usine à rêve, est d'être placée d'emblée sous le signe de l'outrance. On y retrouve les sept péchés capitaux à la sauce hollywoodienne en 2014, si bien que le sadisme et le narcissisme côtoient l'avidité et la jalousie. Hollywood est un vaste théâtre de marionnettes dont on ne voit que trop bien les ficelles. Les personnages aux histoires singulières assez complexes, se retrouvent mêlés les uns aux autres dans une sorte d'orgie funeste lorsque la jeune Agatha refait son apparition à Los Angeles. Les événements s'enchaînent comme dans un engrenage prévisible, Hollywood est ainsi réduit à un château de cartes. Un meurtre en entraîne un autre (dans la deuxième partie du film, cela en devient loufoque), ceci explique cela et le coup de théâtre ressemble à un coup monté par le réalisateur canadien qui se plaît à nous manipuler.
L'intrigue a beau être décousue, les rebondissements peu vraisemblables et la caricature donnant presque la nausée, on ne saurait rire des répliques époustouflantes sans un arrière-goût amer. Le noeud tragique se fait à travers le personnage d'Agatha, la jeune fille un peu dérangée, qui forme un couple très émouvant avec son frère, starlette d'Hollywood, Benji. Julianne Moore, qui incarne un personnage-type, rend intolérable le spectacle de la névrose. De façon générale, les vastes maisons glacées, les lieux de tournages réduits volontairement à des mobiles-homes glauques, donnent le sentiment du vide. Sofia Coppola s'était déjà illustrée dans ce domaine. Cependant, le coup de force de Cronenberg ne réside pas tant dans la dimension tragique des ressorts psychologiques (on rit aux éclats en entendant que l'inceste mère-fille est une affaire datant des années 80, par conséquent obsolète et ridicule), que dans l'aspect éminemment grotesque du film.
Maps to the stars est une fable grinçante sur le vide des vies humaines et sur la bêtise (une quelconque finesse d'esprit est totalement absente chez les personnages). Le spectateur est amené, presque de force, à rire de l'enfer, de l'ultraviolence dans un monde terriblement trash. La supériorité de Cronenberg par rapport à Coppola est d'avoir réussi à ne pas prendre au sérieux la misère des stars d'Hollywood. D'ailleurs, s'agit-il vraiment d'Hollywood ? Les réalisateurs, producteurs, techniciens, sont à peine évoqués. Il n'est pas question de dénoncer un système, de s'en prendre à la corruption de certains magnats du cinéma, ou bien à la cruauté du succès pour les acteurs en déclin. Cronenberg a un regard clinique sur ses personnages qui gesticulent, hurlent, tuent et récitent le poème d'Eluard, sorti de tout contexte, noyé dans le kitsch ambiant. Ainsi, le propos est bien plus général qu'il n'y paraît, le monde entier est une vaste farce, une mascarade. Et à cela, Cronenberg propose de réagir par le rire, un rire critique à propos de la société contemporaine, pleine de désaxés, d'errance et de violence. J'ajouterai que la réplique la plus profonde du film, est pour moi celle que Benji prononce lors des noces funèbres avec Agatha : "J'ai vécu treize ans, c'est déjà pas mal".