Il est difficile, voire impossible, de ne pas parler des conditions particulières dans lesquelles est sorti ce film, six ans après son tournage (et un an de plus en France pour une sortie technique), et qui a grandement pénalisé sa carrière.
Tourné en 2005, le réalisateur, Kenneth Lonergan, avait le choix sur le montage final à condition qu'il ne dépasse pas les 150 minutes. Or, son premier montage, celui qui le satisfaisait, dépassait les trois heures : à ce moment-là, il y a eu une bataille judiciaire contre le studio (Fox) pour qu'il garde ses droits, deux des producteurs (Anthony Minghella et Sidney Pollack) sont décédés entre-temps, tout cela a compliqué les choses et a fait trainer en longueur sa sortie. Il y a même eu Martin Scorsese et sa monteuse Thelma Schoonmaker qui ont voulu donner un coup de main pour proposer leur propre version du film, et Matthew Broderick qui est allé de sa poche pour finir la post-production.
Tout ceci a fait que le film est sorti en catimini en 2011 aux États-Unis, six ans après, et qu'il est complètement passé inaperçu. D'ailleurs, un compromis a été trouvé entre le réalisateur et le studio où il y a le montage cinéma, et la version de départ de plus de 3 heures qui est uniquement disponible sur le dvd américain.


En ce qui me concerne, j'ai vu le dvd français, qui est vide de tout contenu, avec le montage cinéma, et j'avoue que c'est une très bonne surprise, car, comme son titre le suggère, tout est un trompe-l’œil, et c'est aussi à la fois un remarquable portrait d'une adolescente qui va entrer de façon fracassante dans l'âge adulte.


Durant ces 150 minutes, on suit Lisa, jouée par Anna Paquin, une étudiante forte tête, qui va provoquer involontairement un accident de bus, écrasant une femme. Cet accident va provoquer de grands bouleversements, au point qu'elle va vouloir rejeter la faute sur tout le monde, en particulier sur le chauffeur de bus, mais elle va devoir vivre avec ce sentiment de culpabilité.
Il est difficile d'aimer un tel personnage, antipathique à souhait, mais il faut dire qu'Anna Paquin y est formidable, gardant à chaque fois sa violence d'adolescente pour seule arme, mais qui révèle quelqu'un aux multiples facettes, jusqu'à vouloir en quelque sorte retourner la situation dramatique à son avantage. Elle s'entend très bien avec son père divorcé, vit mal la nouvelle relation de sa mère avec un Italien (joué par...Jean Reno !); s'amourache de son professeur campé par Matt Damon, et vit enfin sa virginité comme un fardeau dont elle se débarrassera très vite.
La particularité du film est qu'elle vit sa destinée un peu comme un personnage de fiction, en particulier comme si elle vivait un Opéra, élément très important. D'ailleurs, c'est ce qui donnera son sens au titre, car aucun personnage du film ne s'appelle Margaret ; c'est le nom d'un poème.


La durée fait que c'est parfois contemplatif, avec des plans sublimes sur un New-York post-11/09, avec les passants qui marchent au ralenti, où leurs voix se superposent, comme l'esprit embrouillé de Lisa, personnage qui est difficile à aimer (comme tout ado ou presque, elle a un avis sur tout et c'est elle qui a toujours raison), mais sa complexité la rend intéressante.
Outre Anna Paquin, on note aussi la présence formidable de J. Smith-Cameron, qui est d'ailleurs l'épouse du réalisateur, qui est quelque part entre le marteau de sa fille, avec des relations très compliquées, et l'enclume de son amant, dans lequel elle place de nombreux espoirs après des amours déçues. Il y a aussi, même si ce sont des rôles brefs, Matt Damon (très beau personnage d'ailleurs), et Matthew Broderick, qui jouent deux profs, et Mark Ruffalo, le fameux chauffeur de bus.


Ce n'est pas un film si facile que ça à voir (ne serait-ce que par son caractère invisible), qui n'est jamais cité, y compris lors de l'obtention d'un Oscar pour Kenneth Lonergan pour Manchester by the sea, mais qui est au fond typique d'un genre très important pour les anglo-saxons : le coming of age movie, ce difficile passage de l'adolescence à l'âge adulte, mais là, le réalisateur a réalisé quelque chose de très fort.

Boubakar
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le 24 mai 2018

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Boubakar

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