Le cinéma français appréciait Valérie Donzelli. Après La Reine des Pommes et la consécration ultime pour La Guerre est Déclarée, son nom se retrouvait sur toutes les lèvres. Les plus enthousiastes mentionnaient déjà l’émergence d’une nouvelle gamme de cinéastes dont Valérie Donzelli n’aurait été que le premier soldat. Les plus féministes allant jusqu’à scander son nom avec fierté pour brosser le portrait d’un nouveau d’un cinéma de femmes. Valérie Donzelli avait tout d’une grande cinéaste en puissance avec sa singularité impertinente et la récurrence de thèmes intimement personnels. Quelques années plus tard, il faut reconnaître que le revers de la médaille est plutôt sévère. D’aucuns iront jusqu’à la considérer comme une artiste à l’ego démesuré, faussement cool et se donnant des airs de cinéaste contemporaine branchée. Si l’on fait abstraction de ces critiques, il serait malhonnête de ne pas reconnaître l’amour incommensurable que Donzelli porte à l’époque de la Nouvelle Vague. Elle n’a jamais caché avoir été influencée par l’onirique Jacques Demy et le grand François Truffaut. Ce n’est finalement pas si étonnant qu’elle s’approprie un matériau initialement promis à Truffaut. Le scénario de Marguerite et Julien est l’occasion pour la cinéaste de poursuivre une filmographie -somme toute logique- régie par un thème commun, celui-là même de l’amour impossible qui parcourt sa filmographie depuis La Reine des Pommes. A l’annonce de la sélection officielle du Festival de Cannes, la présence de cinéastes françaises à Cannes -qui plus est en compétition pour certaines- avait été amplement saluée. Valérie Donzelli avec son film incestueux pop, Maïwenn sur la chute intimiste d’un couple brûlant, Emmanuelle Bercot et son drame social poignant, Alice Winocour captant les conséquences du traumatisme après-guerre et enfin Agnès Varda honorablement récompensée d’une Palme d’honneur. Cette année enfin, les femmes du cinéma français prenaient le pouvoir à Cannes.


Malheureusement, les critiques et festivaliers en ont décidé autrement et ce qui aurait pu s’avérer être une édition symbolique s’est finalement transformée en un douloureux rejet critique envers les films de cinéastes autrefois appréciées. Si Bercot a plutôt fait l’unanimité en ouverture, Winocour n’a pas laissé une impression impérissable et un vent de critique a violemment soufflé sur les films de Donzelli et Maïwenn. Prétention pour certains, inaboutissement pour d’autres, ratage complet pour quelques exigeants butés. Les deux cinéastes françaises en compétition ont subi le contrecoup d’un festival qui s’annonçait pourtant sous le signe de la prise du pouvoir féminin. Mais finalement, n’est-ce-pas là le signe de réalisatrices qui s’opposent aux standards et au diktat d’une critique formatée ? Et si ces films amochés par la presse étaient finalement le reflet d’une autre manière de faire du cinéma qui -pour certains- n’est pas encore à même de faire l’unanimité ? Faut-il rappeler que certains grands cinéastes ont d’abord été l’objet de violentes critiques avant d’être réhabilités ? Avant d’avoir le recul nécessaire pour juger ces films, il convient de nuancer les propos précipités de la critique envers ces films, en l’occurrence ici celui de Marguerite et Julien. Car le film de Valérie Donzelli est une proposition de cinéma pop, irrévérencieuse et singulière qui vaut bien quelques louanges.


Il y a plus de quarante ans, Jean Gruault, l’un des scénaristes les plus en vogues de la Nouvelle Vague, écrivait le scénario de ce qui devait être un grand film romanesque et passionnel adapté de l’histoire de Julien et Marguerite de Ravalet. A cette époque, Gruault avait déjà travaillé avec Rivette, Rossellini ou Godard mais c’est à François Truffaut qu’il remet le scénario. Il avait déjà collaboré deux fois avec lui, notamment sur L’Enfant sauvage. Après un premier jet qui l’enthousiasme particulièrement, Truffaut refuse finalement le matériau narratif de Gruault, prétextant la tendance actuelle au thème de l’inceste. S’ils continueront tout de même à travailler main dans la main, le scénario tomba dans les limbes des écrits mort-nés. Du moins jusqu’à ce que Valérie Donzelli s’en mêle. Lorsqu’elle reçoit en cadeau une édition littéraire du scénario de Gruault, elle sent que l’objet qu’elle tient entre les mains peut rapidement devenir un matériau cinématographique formidable. Qui plus est,il reprend son thème de prédilection, celui de l’amour impossible. Avec cette adaptation, Valérie Donzelli fait de Marguerite et Julien un film que certains cinéphiles trouveront singulier, tandis que les moins hermétiques à l’univers de la cinéaste considéreront le film comme un objet insensé, n’ayant nullement sa place en compétition à Cannes. Ce qui s’avère intéressant dans le parcours de ces amants frère et sœur, c’est que Valérie Donzelli fait le choix de le traiter comme un conte désenchanté, une sorte de récit intemporel qui trouve sa particularité dans la présence d’anachronismes discrets mais permanents. Se déroulant au XVIIème siècle, il n’est pas impossible d’y voir des postes de télévision, des yo-yos ou même des hélicoptères. Elle ignore volontairement les conventions de l’époque pour accentuer l’aspect universel de cet amour maudit. Ce n’est pas un plaidoyer pour l’inceste, loin de là. Il s’agit simplement de la déclaration -peut-être un peu naïve- d’une cinéaste qui croît que l’amour ne doit pas être freiné par des barrières. Et malgré cette naïveté apparente, c’est le récit le plus noir de Valérie Donzelli. Aucun salut n’attend les deux amants.


La présence de Jérémie Elkaïm au casting n’est pas une surprise. Elle est même une évidence pour Valérie Donzelli. Présent dans tous ses films, il est d’abord sa muse avant d’être son ancien compagnon, son collègue de travail ou le père de ses enfants. Mais l’acteur est peut-être encore plus mal-aimé que les films de Donzelli. Il faut dire que la prestation de Jérémie Elkaïm dans Marguerite et Julien n’arrive jamais à trouver la justesse entre l’hyperexpressivité et la nonchalance. Valérie Donzelli use d’artifices pour le rendre séduisant, notamment cette séquence dispensable où il coupe du bois torse-nue, affichant fièrement un récent et rigoureux entraînement physique. Une scène bien laborieuse puisqu’en dehors d’une éventuelle attirance physique, l’acteur véhicule mal l’idée d’une passion folle chez ces deux amants. A ses côtés, Anaïs Demoustier s’en sort un peu mieux et, du haut de ses vingt-sept ans, elle apporte un visage anodin, délicat et enfantin à ce joli brin de fille dans un corps de femme. Dictée par une complicité conservée depuis la plus tendre enfance, cet amour répréhensible est malheureusement bien mal retranscrit à l’écran. Rares sont les séquences où l’on puisse croire que Marguerite puisse autant aimer son frère, apparaissant souvent froid et distant. C’est peut-être bien ce que l’on pourra reprocher le plus au film. Ce manque de flamme et de fusion entre ces deux amants. Certaines séquences peinent à nous convaincre quand bien même d’autres arrivent à susciter quelques réactions enthousiastes. Les séquences où les deux frères et sœurs -devenus adultes- jouent avec leurs corps dans un grenier illustrent cette passion mutuelle restée intacte depuis l’enfance. Ou bien ce rapport bestial en pleine forêt, laissant imaginer qu’au-delà de leur complicité, leur amour touche une bestialité primaire au contact des corps dans une nature vierge de toute convention. C’est d’autant plus dommage que cette passion manque de chair alors que Valérie Donzelli épate par son audace formelle. Le cinéma donzellien magnifie avec brio cette romance réprouvée. L’imagerie touche parfois au sublime dans cette représentation d’une époque anachronique, même si certains partis-pris virent au grotesque (les plans arrêtés). Les qualificatifs de la presse n’ont pas manqué d’évoquer une proposition de cinéma punk. Marguerite et Julien est davantage un film qui revendique la singularité par un lyrisme, un ton pop assumé et quelques bonnes trouvailles de mise en scène. On pourra discuter longtemps de savoir si Marguerite et Julien méritait d’être en compétition mais il faut reconnaître que le cinéma offre trop rarement de telles démonstrations formelles pour ne pas avoir les honneurs d’une sélection à Cannes.


Si Marguerite et Julien est un film qui manque cruellement de flamme et d’ivresse, Valérie Donzelli offre néanmoins une vision qu’aucun autre n’aurait pu imaginer. Ce qui aurait pu s’avérer n’être qu’une romance dégradante sur fond de film de costumes trouve alors sa réussite dans l’expression et la liberté d’une cinéaste pop et candide. Le film ne tient pas la route sur la longueur, la faute à une passion manquant de chair, mais l’atmosphère séduisante du film nous maintient en haleine et offre un final d’une beauté macabre sublime. Avec ces qualités, on a envie de sauver le soldat Donzelli, celui-là même qui avait déclaré la guerre à Cannes quatre ans plus tôt. A peine présenté en compétition officielle et victime d’un acharnement médiatique précipité, Marguerite et Julien mérite déjà d’être réhabilité. Ce conte désenchanté mêle la fantaisie au drame avec une sensibilité touchante. La photographie envoûtante de Céline Bozon et les bonnes idées du film nous transportent totalement. A la fin du générique, on pourra seulement regretter l’absence d’une substance indispensable à cette romance interdite, la passion.


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Tout le monde l'a vu à la rédaction de CSM et tout le monde a aimé

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le 28 mai 2015

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Kévin List

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