Bon alors mes p’tits chats, par quoi on commence ? Perso, j’ai rien contre Donzelli hein, elle a l’air cool, elle est jeune et jolie, elle est bonne actrice, tout ça, mais là c’est plus possible. Faudrait juste qu’elle arrête de faire des films avec son ex là, Elkaïm, Elkaïm sa mère. Faudrait juste qu’on arrête de la financer et de la produire et de lui parler et de lui dire qu’elle sait faire des films, voilà. Faudrait juste. Et puis merde quoi, aller présenter un machin pareil à Cannes, temple intersidéral du lynchage critique jamais en mal de sarcasmes et d’adjectifs orduriers, c’est comme montrer un porno croate à base de tenailles et de moignons dans une école primaire un soir de réunion parents d’élèves : ça ne se fait pas.
Donc au départ de la base du truc, y’a Jean Gruault, scénariste phare de la Nouvelle Vague pour Rivette, Godard et Truffaut, et puis plus tard pour Téchiné, Resnais et Akerman. Donc Gruault, il écrit un scénario sur la vraie histoire vraiment véridique de Julien et Marguerite de Ravalet (frère et sœur amoureux qui, en 1603, furent exécutés pour adultère et inceste) et tente de le refourguer à Truffaut qui n’en veut pas, le bâtard. Et donc aujourd’hui, c’est cette satanée Donzelli qui s’y colle en mixant n’importe comment Peau d’âne, Roméo et Juliette et Les hauts de Hurlevent avec dedans des bouts d’anachronisme, de décalé et de musiques intemporelles comme chez Sofia Coppola, genre insolent et affranchi (le monde a la fille Coppola, nous on a Donzelli).
On voit d’ailleurs où elle veut en venir, la Donzelli. Elle cherche à bien niquer le classicisme (citant Cocteau pour se justifier : "L’histoire c’est du vrai qu’on déforme, la légende du faux qu’on incarne") tout en se prenant un bon retour de vit dans la gueule. Ses minauderies de style, très cache-misère (le must : d’affreux plans faussement figés dont on peine à comprendre la signification ou même la raison profonde, mais puisqu’on s’en fout de toute façon…), qu’elle dissémine ici et là n’arrangent pas son cas et ne suffisent même pas à donner l’illusion de substance à la chose qui voudrait se faire passer, diantre, pour un conte pop et romanesque, quasi un film "d’aventures chevaleresques", a-t-elle assuré.
C’est quand elle se concentre sur la fuite des amants, filme le tragique à l’œuvre, abandonnant soudain tics et toc et tralala, que Donzelli touche un peu plus au cœur et réussit à nous cueillir (jusqu’à ces derniers plans magnifiques qu’accompagne un poème de Walt Whitman). Anaïs Demoustier et Jérémie Elkaïm, d’ordinaire très bons, ont visiblement du mal ici, ils traînent la patte, on les sent engoncés, boudinés, ne parvenant guère à transmettre toute la passion, toute la folie et toute la révolte qui consument les deux amants. Nan sérieux, on se croirait devant un téléfilm platement décoratif pour samedi soir dépressif de sa race. Personne pour un porno croate, plutôt ?
Article sur SEUIL CRITIQUE(S)