"Marguerite et Julien" est l'histoire d'un scénario typiquement Nouvelle Vague destiné à François Truffaut. Projet précieux aux yeux de ce grand réalisateur qui sera vite abandonné, oublié. Quatre décennies plus tard celui-ci se retrouve dans les mains de l'actrice/réalisatrice Valérie Donzelli. Victorieuse des Césars et autres compétitions en 2011 avec son film "La guerre est déclarée", Valérie Donzelli voit la réception de ce scénario comme un cadeau. Suite à sa réception fortement mitigée au Festival de Cannes, "Marguerite et Julien" était-il un cadeau empoisonné pour la réalisatrice?
L'histoire vraie de Marguerite et Julien De Ravalet avait fait grand bruit au XVIIème siècle et réussit à en faire tout autant de nos jours. Comme tout sujet tabou, l'inceste est de ceux qui crée le plus de polémique. Marguerite et Julien étaient deux nobles, frères et sœurs mais aussi amants, poursuivis puis décapités sur une place publique à Paris en 1603. Porter à l'écran un tel projet, capable de répugner le plus grand nombre de spectateurs, était le pari fou que Valérie Donzelli a su saisir. Et qu'elle réussit.
Lors de son avant-première mondiale à Cannes, certains dénigrent ce film qualifié de "honte", de "scandale". Il est scandaleusement bon de voir Donzelli présenter ce film hautement provocant et si innocent à la fois. Il en est triste de le voir boycotté par un manque d'ouverture d'esprit flagrant, à l'heure de la modernité. Qui plus est lors de l'intellectuel Festival de Cannes. Le sujet trop insoutenable pour certains spectateurs a couvert le film d'aprioris avant même son visionnage, ne laissant aucune chance à Donzelli de gagner un prix. Pourtant, "Marguerite et Julien" se révèle être une œuvre insoupçonnablement intéressante et splendide. Le film s'auto-proclame être une adaptation libre de l'histoire de ces deux jeunes gens. Valérie Donzelli y glisse d'ailleurs de nombreux anachronismes pour positionner son histoire d'amour dans une intemporalité. À la lumière d'une mise en scène privilégiant des acteurs libres dans leurs jeux et réalistes dans leurs dialogues, le film est un clin d'œil à la Nouvelle Vague. Époque libertaire où le public aurait sûrement su apprécier le film à sa juste valeur malgré l'opinion morale et justifiable qu'on peut avoir au sujet de l'inceste. On aime particulièrement les effets que produit la réalisatrice avec les décors. À plusieurs reprises, on assiste à des plans où les acteurs se figent en plein mouvement. Accompagné d'une musique romanesque, le spectateur ne sait plus s'il est face à un plan ou à un tableau moyenâgeux. Derrière sa caméra, Valérie Donzelli se révèle être une véritable artiste et prend de nombreux risques esthétiques.
Deux têtes d'affiches, deux jeunes acteurs déjà primés: Jérémie Elkaïm et Anais Demoustier. Co-scénariste et compagnon de la réalisatrice, Jérémie Elkaïm campe le rôle de Julien. Luttant contre ses propres démons, Julien est le plus âgé mais aussi le plus raisonné des deux. Les traits durs de l'acteur s'allient avec le manque de transparence et le combat intérieur de Julien. Jérémie Elkaïm livre un jeu d'acteur sobre mais percutant, amoureux et conscient d'être coupable de l'inconcevable. La jeune Anais Demoustier, jeune espoir du cinéma français incarne Marguerite. Quelque peu inconsciente et plus entreprenante, c'est elle qui pousse son frère à l'acte. L'actrice connue pour ses rôles doux et faussement prudes, interprète Marguerite avec une délicate provocation.
En osant mettre à l'écran le scénario polémique de "Marguerite et Julien", Donzelli est victime de son culot dérangeant et du manque d'ouverture d'esprits de certains critiques. Des dialogues très "Nouvelle Vague" aux jeux de montages, "Marguerite et Julien" est une œuvre poétique à voir à partir du 30 septembre.