Maria
5.9
Maria

Film de Jessica Palud (2024)

Le premier et Dernier Tanguo de Maria Schneider

Ce deuxième long-métrage de la réalisatrice Jessica Palud, est un vibrant hommage à l'actrice Maria Schneider, fille illégitime de Daniel Gélin, et disparue trop tôt d'un cancer.

Démarrant sa carrière en 2003 en tant que stagiaire sur le plateau d'un des tous derniers films de Bernardo Bertolucci, The Dreamers, qu'elle admirait, mais constatant l'ambiance très sexiste des plateaux de cinéma de ces années ante #MeToo, Jessica Palud s'est emparée du destin de cette actrice abusée et humiliée dans le drame érotique sulfureux et controversé Le Dernier Tanguo à Paris, et dont le réalisateur a reçu un palme d'honneur au festival de Cannes en 2011, impensable aujourd'hui !

S'inspirant librement de la biographie "Tu t'appelais Maria Schneider" de sa cousine Vanessa Schneider, journaliste réputée au Monde, la réalisatrice adopte avec grande justesse le point de vue de Maria Schneider, qui est de toutes les scènes, personnage porté avec brio par Anamaria Vartolomei, l'excellente jeune actrice franco-roumaine (vue dans L'événement d'Audrey Diwan et Méduse de Sophie Lévy), et en fait un quasi biopic bouleversant.

Placée au centre du jeu, la jeune actrice fait le film par ses regards puissants qui véhiculent avec finesse les non-dits, par sa sensibilité à fleur de peau, et par la profondeur des sentiments exprimés, enthousiastes, désabusés, puis désespérés qu'elle nous délivre avec émotion.

Montrant un contexte familial conflictuel entre sa mère instable (jouée par une Marie Gillain plutôt convaincante), et son père qui lui donne le goût du cinéma (campé par un solide Yvan Attal, très cynique et machiste devant le succès de sa fille), on voit une Maria, idéaliste et naïve, livrée à elle-même dans ce monde d'hommes des années 70 :

Les films sont écrits par les hommes et pour les hommes...

Et pour mieux accentuer et insister sur les situations très difficiles, les scènes de tournage sont montrées de manière frontale et crue, à commencer par la scène choc du Dernier Tanguo, film qui va la propulser dans une notoriété sulfureuse qu'elle n'aura de cesse de réfuter dans un mode #MeToo avec 40 ans d'avance !

Même si le film n'est pas militant de ce point de vue, il y fait implicitement écho, puisque Maria Schneider en fera le combat de sa vie d'autant qu'elle sera peu entendue (on la voit notamment dans le Soi belle et tais-toi de Delphine Seyrig en 1981).

Dans ce contexte, le long-métrage montre sa descente aux enfers, son addiction à la drogue, quelques rares succès et beaucoup d'échecs dans ce monde du cinéma sexiste qu'elle refuse !

Heureusement une très belle rencontre avec une jeune femme, interprétée par Céleste Brunnquell, étonnante de justesse, de douceur et de sincérité, va l'aider à rééquilibrer sa vie, dans une romance assumée, là encore en avance sur son époque !

Et que dire du comportement édifiant des personnages de Bernardo Bertolucci (Giuseppe Maggio) et Marlon Brando (Matt Dillon, peu convaincant et néanmoins admiratif de Marlon (!)), les violeurs complices qui pensent qu'une scène improvisée donne un résultat meilleur du point de vue des émotions de la victime pour le succès d'une fiction ? Avec du recul, une situation bien plus abjecte que tout harcèlement ou agression sexuelle sur un plateau !

En synthèse un film beau, dur et émouvant sur le destin de Maria Schneider, qui se devait d'être porté tôt ou tard à l'écran, ce que Jessica Palud fait avec beaucoup d'habileté et de vérité, grâce à un scénario entièrement focalisé sur le ressenti de l'actrice, et porté par une admirable Anamaria Vartolomei qui habite son rôle.

Film présenté dans la section "Cannes Première" au festival de 2024, à voir absolument !

Azur-Uno
8
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le 23 juin 2024

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