Que vont penser les familiers de Jack London, de l'adaptation napolitaine de l'un de ses romans les plus marquants, Martin Eden, paru en 1909 ? Une transposition très libre mais qui reprend le thème de l'autodidacte qui cherche à s'élever socialement pour les beaux yeux d'une blonde bourgeoise. Très ambitieux narrativement et formellement, le film brouille à dessein les repères historiques : il semble se passer parfois dans les années 70 et à d'autres moments vers 1930, façon de montrer l'universalité et l'atemporalité de son sujet et de son personnage principal. Celui-ci, méfiant vis-à-vis de tous les systèmes de pensée et qui trouve dans l'individualisme sa raison d'exister, a un côté romantique, idéaliste mais aussi auto-destructeur. Le réalisateur, Pietro Marcello, notamment remarqué avec Bella e perduta, en fait un homme fascinant, pas très aimable malgré sa recherche effréné d'émancipation politique, à travers l'acquisition de la culture et du talent de l'écriture. Le film le voit traverser le XXe siècle, ne serait-ce que de manière symbolique, avec en particulier des images d'archives superbes qui, loin d'être des digressions, sont comme des illustrations mentales ou sociales d'un monde régi par une perpétuelle lutte des classes. Martin Eden réussit la gageure d'être à la fois balzacien dans son récit et puissamment cérébral. C'est parfois déconcertant car elliptique mais le plus souvent stimulant pour l'esprit, ce qui n'est pas si fréquent dans le cinéma contemporain.