1946, la guerre est finie et alors qu’il avait participé activement au débarquement et la libération de la France, l'acteur Jean Gabin fait son retour dans le cinéma français après s'être expatrié au cours de cette guerre aux États-Unis, refusant de tourner pour le compte de l'Allemagne nazie. Durant son exil, il rencontra Marlène Dietrich - d'origine allemande et elle aussi exilée du fait de son opposition publique au régime nazi - avec qui une relation amoureuse va se nouer. Un seul film naîtra de cette collaboration puisque les deux amoureux se sépareront peu de temps après.
Au sortir de ces années de guerre, Gabin a changé, comme il le dira lui-même "[il est] revenu de la guerre avec les cheveux blancs." De fait, s'il était jusqu'alors principalement habitué à jouer les têtes d’affiches dans des rôles de jeunes romantiques, il va devoir apprendre à se réinventer.
Ce film s'insère dans une logique de transition par certains aspects. En effet si Gabin y joue toujours un rôle romantique il y paraît toutefois plus âgé que dans ses rôles passés et le film joue là-dessus ; malgré la relation très romantique il y a une réelle opposition entre les airs de provincial mal dégrossi de Roumagnac (Jean Gabin) d'un côté et de l'autre l'air de mondaine habituée aux grandes villes de Blanche (Marlène Dietrich).
En effet, Martin Roumagnac raconte l'histoire de ces deux êtres que tout oppose se rencontrant par hasard, mais entre qui une puissante relation amoureuse, sincère, va naître malgré les railleries, les on-dit et l'opposition de leurs familles respectives. Sa sœur pour Roumagnac, mais surtout l'oncle de la charmante jeune fille tenant une oisellerie, qui préférerait la voir épouser un riche consul dont la femme est gravement malade et condamnée.
Ainsi, le film va jouer de cette « double vie » de Blanche dont Roumagnac ignore tout, nous poussant à nous demander si oui ou non elle l'aime réellement ou si elle profite simplement de lui (étant maçon il lui fait notamment construire de son propre chef une villa), si elle voit cette histoire comme un jeu et aussi ce qui l'intéresse le plus entre l'argent du consul et l'amour de Roumagnac.
Cet amour sera également destructeur pour Roumagnac puisqu'il va le détourner de son métier (conduisant notamment à la mort d'un de ses ouvriers du fait de la négligence de la solidité d'une partie du pont qu'il était de chargé de construire), lui créer des problèmes d'argent et ternir la bonne réputation qu'il avait jusque là au village, etc.
Certaines scènes du film parviennent à se montrer assez marquantes également. En tête de liste la scène où alors que nos deux tourtereaux sont au balbutiement de leur amour, Gabin emmène Dietrich se promener dans la nature pour lui montrer la beauté de la campagne, alors qu'ils sont allongés dans les prés, un orage commence à gronder au loin et à se rapprocher. Les deux amoureux s'abritent alors dans une grange, on a le droit alors à une image réellement belle en contre-plongée ; les deux amants entrant dans la grange le violent orage trônant juste au-dessus d'eux prêt à s'abattre. Les deux amoureux s'embrassent alors pour la première fois, fondu au noir sur la porte de la grange se refermant.
(D'ailleurs au risque d'extrapoler, on peut voir une certaine signification dans le fait qu'un amour aussi destructeur se soit déclaré au cours d'un orage.)
C'est donc un film sur l'histoire d'une passion et d'un amour destructeur en réalité pour les deux êtres, sur l'incompréhension des sentiments de l'autre à notre égard déclinant sur la jalousie et la paranoïa, mais qui s'intéressent aussi à l'opposition et les fossés qui séparent les classes sociales ainsi que les provinciaux et les citadins.
Pourtant, le film ne rencontrera pas réellement la critique lors de sa sortie qui n'y verra qu'un film moyen et qui sera plus ou moins oublié au fil des années. Un accueil qui convaincra Gabin dans le fait qu'ayant vieilli il doit se réinventer et changer de registre pour continuer à jouer les têtes d'affiche du cinéma français. Changement qu'il réussira avec brio, la majorité de ses plus grands succès restant alors à tourner.
(Blanche est à bout de nerfs concernant cette histoire et les combines de son oncle, dans l'oisellerie de ce dernier elle ouvre les cages de tous les oiseaux, leur laissant la liberté de s'enfuir) -Partir tu comprends ce que ça veut dire partir -C'est de la folie, tu sais bien qu'ils ne pourront pas vivre, ils vont mourir (au sujet des oiseaux) - Mourir peut-être, mais en liberté.
Un passage qui fait écho avec la dernière scène du film, où Martin finit par mourir la caméra glisse alors vers le journal dont les gros titres au sujet de son acquittement affirment « Martin Roumagnac libéré ».