MARTYRS (2008) de Pascal Laugier | Envers et contre tous

Précédé d'une réputation pour le moins sulfureuse, Martyrs a bien failli ne jamais rencontrer son public. En cause : une interdiction au moins de 18 ans, votée à 5 voix contre 1 par la sous-commission de classification des œuvres cinématographiques, puis confirmée à 13 voix contre 12 un mois plus tard par la commission plénière. Une décision vue par le réalisateur Pascal Laugier comme une forme de censure, et vécue comme une sanction car synonyme d'une exploitation en salles quasi nulle.


Le distributeur ayant fait appel, le film repasse devant la commission sur demande du Ministère de la culture et se retrouve cette fois-ci, à 14 voix contre 12, seulement interdit au - de 16 ans, assorti d'un avertissement. Une classification qui permet à Martyrs de bénéficier d'une sortie en salles un peu moins restreinte. Avec 69 copies, le film ne peut pas faire, et ne fait pas, de miracle en terme d'entrées, environ 95000, mais la publicité faite autour de sa classification initiale et les réactions qu'il suscite auprès des spectateurs lui apporte au fils des années une certaine renommée auprès des amateurs du genre, en France comme à l'international.


Si j'ai découvert le travail de Pascal Laugier en 2004, en salles, à la sortie de Saint-Ange, premier long-métrage très référencé mais prometteur, il m'a fallu plus de 10 ans pour me décider à me plonger dans l'univers extrêmement sombre de Martyrs. Il faut dire que la réputation d'œuvre choc entourant un film ne constitue pas véritablement un argument de vente à mes yeux. D'autant que, dans le cas de martyrs, l'aspect "œuvre choc" apparait finalement quelque peu réducteur.


Durant l'écriture de Martyrs, Pascal Laugier n'est pas dans un état d'esprit particulièrement festif. Marqué par la réception critique et public plutôt tiède de Saint-Ange et supportant de moins en moins la violence grandissante du monde dans lequel nous vivons, le réalisateur semble à ce moment là complètement désabusé. Le scénario fougueux et instinctif, s'en ressent fortement, jusqu'à son final.


Avec Martyrs, Pascal Laugier entend livrer un film viscéral, revendiquant dès le départ son caractère plus que violent. Son intention n'est pas de réaliser un film cherchant à faire peur au spectateur mais bien de le plonger dans la situation la plus inconfortable possible. Il souhaite contourner les genres et surprendre, n'appliquer aucun second degré et surtout respecter la souffrance de ses personnages. Combiner l'horreur et la mélancolie.


Le film ne fait clairement pas partie de ceux qu'on choisit de regarder un soir entre amis pour s'amuser à se faire peur. Ici pas de jumpscares, de gore outrancier, ni même de mouvements de caméra alambiqués. Il ne fait pas dans le divertissement, et la violence se veut brute et clinique, sans filtre pour soulager le spectateur.


Si le film doit en partie sa réussite à l'aspect transgressif voulu par Pascal Laugier, paradoxalement, il le doit également aux conditions dans lesquelles il a été produit.


Canal+ cherchant à financer à hauteur de 2,5 millions un film de genre, la chaine se tourne vers Richard Grandpierre, producteur de Saint Ange, lequel propose le projet à Pascal Laugier, la condition étant que le scénario doit être rédigé en moins de 4 mois. Laugier, qui, habituellement, prend son temps pour écrire et choisir ses films, accepte, préférant saisir l'occasion plutôt que rester dans l'incertitude de voir ses projets se concrétiser un jour.


Le tournage se déroule au Canada, en un temps réduit, mais avec une totale liberté. Compte tenu du budget, plutôt moyen pour ce type de production, et sa faible appétence pour la technique et les dispositifs trop contraignants, Laugier tourne principalement caméra à l'épaule. Il privilégie les performances des acteurs et des actrices (compte tenu de l'intensité des scènes demandée), laisse libre cours à l'improvisation, tourne beaucoup, sans storyboard, accordant une place importante au montage.


Le sujet du film, tout comme sa représentation sur le plateau, rend cependant l'entente avec certains membres de l'équipe plutôt difficile. De plus, 4 personnes se succèdent au poste de directeur de la photographie, dont 2 renvoyés par Laugier. Enfin, la production doit s'arrêter 6 mois après un accident survenu lors d'une scène de Morjana Alaoui, l'interprète d'Anna.


Tour à tour film de vengeance, film de secte, film de torture ou bien encore film de fantôme japonais, Martyrs permet à son réalisateur d'aborder différents sous-genres, de les redéfinir, pour mieux surprendre le spectateur. Difficile de parler de Martyrs sans trop en dire, le long-métrage reposant en grande partie sur les glissements qu'il opère au sein de son histoire et sur les raisons justifiant la violence déployée sous nos yeux. Si Martyrs propose une violence graphique et psychologique assez poussé, celle-ci repose sur un récit de film de genre, dans lequel le personnage de Mademoiselle est là pour éviter au spectateur de rester sans explication, et donc d'éviter toute "gratuité".


L'investissement totale des actrices Morjana Alaoui et Mylène Jampanoï et leurs performances intenses font beaucoup pour la réussite du film et l'empathie éprouvé par le spectateur pour leurs personnages. De même, le travail réalisé par l'incontournable maquilleur Benoît Lestang, disparu peu de temps après la sortie du film, achève de faire de Martyrs une proposition forte, qui n'est pas faite pour plaire à tout le monde, mais qui ne laisse pas indifférent.

Fatal_Horror
9
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le 3 juil. 2021

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