Tout sonne double, dans ce titre : le prénom Marvin, qui deviendra Martin, dès que, devenu auteur autobiographe, ce personnage - inspiré de Eddy Bellegueule, devenu lui-même Édouard Louis - aura accédé, avec l’entrée dans l’âge adulte, à une acceptation de soi ; et le sous-titre, « [...] ou la belle éducation », qui dialogue incontournablement avec le film, plus ancien, de l’Espagnol Pedro Almodovar, « La Mauvaise Éducation ».... Les deux œuvres se penchent l’une et l’autre sur la trajectoire suivie par un jeune garçon, de l’enfance à l’âge adulte, et sur la construction de son homosexualité. Mais autant le film de 2004 relatait l’histoire d’une destruction - d’où la traque du prêtre pédophile placé à son origine, le désir de vengeance, et le titre -, autant cette dernière œuvre en date d’Anne Fontaine, infiniment plus optimiste, relate l’histoire d’une construction, d’un avènement, d’un épanouissement.
Cette structure double traversera l’ensemble du film, qui ménage de constants retours vers l’enfance vosgienne du héros : Marvin Bijou (Jules Porier) n’est pas encore devenu Martin Clément (Finnegan Oldfield), en un bel hommage à Mme Clément (Catherine Mouchet, toujours aussi étonnante qu’excellente), Principale du petit collège provincial, et qui a eu assez de sensibilité et de discernement pour pousser ce jeune élève vers des études de théâtre. Depuis la prestigieuse scène qui le voit se produire en duo avec la non moins prestigieuse Isabelle Huppert, dans son propre rôle, on accompagne ainsi le héros, par un double flash-back, à la fois dans ses premiers pas au sein du milieu intellectuel et éminemment parisien, et dans son cheminement d’enfance, plus incertain et malmené. Mais la connaissance, initialement posée, du destin d’accomplissement qui attend cet enfant sauve le film de tout risque misérabiliste. On sait d’emblée que revanche sera prise...
Grâce au scénario subtil élaboré par la réalisatrice et son co-scénariste Pierre Trividic et à ce jeu sur la connaissance du spectateur, les scènes d’enfance échappent ainsi au naturalisme social dans lequel elles auraient pu sombrer, puisque l’issue à laquelle elles vont aboutir les éclaire constamment de sa lumière.
Autre source d’allègement : la qualité des seconds rôles qui entourent le personnage de Marvin, depuis le père (Grégory Gadebois, merveilleux de lourdeur rougeaude mais aussi de tendresse infiniment malicieuse dans son regard bleu), jusqu’à un Charles Berling en prédateur-Pygmalion cachant son désespoir sous un œil avide et acéré ; sans compter le couple, plus convainquant dans sa complicité tendre que dans sa désunion, formé par Vincent Macaigne en professeur de théâtre infiniment touchant et Sharif Andoura, très naturel et d’une élégance à la fois joueuse et protectrice.
Autant de figures tutélaires qui achèvent la démonstration selon laquelle, à défaut d’une famille structurante, il est possible, en Petit Poucet roux, de se soustraire au déterminisme social, de se frayer un chemin par le vaste monde et de confier aux instances protectrices qu’on se serait choisies le soin de vous prodiguer une « belle éducation »...