Librement inspiré, plutôt que fidèlement adapté, du En finir avec Eddy Bellegueule d’Édouard Louis (le jeune Marvin Bijou, brimé à l’école et dans sa famille pauvre, décidera de prendre, une fois adulte, sa "revanche" par rapport à sa condition et ses origines), ce Marvin-là déplace l’action du roman de la Picardie aux Vosges et remplace l’écriture par le théâtre. Si la trahison sied parfois aux adaptations littéraires, il n’est même pas question ici d’infidélité ou de libertés prises : le film, dans son ensemble, est raté quoi qu’il en soit. Tout fait vieillot, tout fait poussif. Poussif dans ces souvenirs durs de cette enfance dure qui serviront, plus tard, de terreau à l’écriture et à la renaissance. Poussif dans ces représentations des classes et cette catharsis censée mettre à mal ce déterminisme social si cher à Durkheim.
Le film d’Anne Fontaine, écrit en collaboration avec Pierre Trividic (pourtant scénariste chez Pascale Ferran et Patrice Chéreau), aurait pu être une belle œuvre d’initiation et de quête d’identité à la Téchiné (on pense surtout aux Roseaux sauvages et à J’embrasse pas). Las. Le film patauge, a le trait lourd, préfère souvent l’épaisseur (entre autres ce final cliché sur fond de world music indigente) à la pure simplicité. Les prolos sont forcément rougeauds, braillards et carburant au pastis, les homos théâtreux forcément raffinés, cultivés et un rien pédant, le pygmalion forcément un vieux beau frimant en Jaguar qui aime se taper (et s’entourer) de jeunes éphèbes roucoulants.
Et Isabelle Huppert, ah !, est forcément Isabelle Huppert qui fait du Isabelle Huppert même quand elle doit jouer Isabelle Huppert qui danse ou Isabelle Huppert qui déclame. Ça fait donc beaucoup de forcément, et tout le film sera à l’identique : forcé. Même le jeu monolithique de Finnegan Oldfield finit par agacer, l’acteur n’y apportant que de maigres nuances en toute fin de parcours. On sent Fontaine cherchant à tenter des choses, à se dépatouiller d’un texte encombrant et de situations de circonstance, éculées, obligées, et quelquefois elle y parvient, quelquefois elle propose là, soudain, une respiration scénaristique, ose ici une trouée esthétique, mais revenant trop vite à quelque chose de plus anecdotique, de plus passe-partout. D’où ce sentiment alors, face à un tel gâchis : en finir, effectivement.
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