Il y a des films qui ne nous parlent pas. Des films qui se découvrent à reculons, sans envie particulière ni passion. Se retrouver embarqué dans des a priori, souvent injustifiés, pour finalement partir avec cette commune impression qu’il ne s’agit que d’une énième œuvre « auteuriste » à revendication déclamatoire. Oui, cette œuvre où le point de vue embourgeoisé de l’ascension sociale se mêlerait à une lourdeur textuelle sans vigueur ni caractère. Et cela, c’est également se faire une opinion tronquée de ce que peut nous offrir, encore aujourd’hui, le cinéma français. Car Marvin ou la belle éducation est un de ces films qui vous remuent, qui ne se laisse appréhender qu’en fragments fugitifs pour les assembler en une œuvre aussi intense que bouleversante. Un choc d’autant plus fort qu’il fut inattendu. Un peu comme ces moments où tout semble basculer dans une émotion nouvelle.
En parler m’est encore difficile, car Marvin parle de Nous, de la Vie, dans ce qu’elle a de plus insouciante et de plus tragique. Et comment s’épancher sur la Vie si ce n’est par un vécu ? Peut-on seulement y placer des mots ? Sans compter cette inévitable peur du didactisme. Comment capter ces instants de pureté innocente sans sombrer dans quelque chose de vaguement artificiel ? En adaptant librement En finir avec Eddy Bellegueule, Anne Fontaine semble avoir réussi à contourner le puits du misérabilisme social, là où l’accident par la facilité est vite arrivé. Ne reste qu’une substance sans esbroufe ni larmes inutiles. Juste un format intimiste, comme pour confiner à l’essentiel, et se donner tout entier au cadre ; sans jamais accabler, juste montrer les choses dans leur authenticité. Et à cette déchirante et brute réalité, s’y mélange une fiction touchant à la complexité humaine. Une sorte de Billy Eliott où les ballerines se convertiraient en une mise à nue théâtrale.
Du sourire aux lèvres à ces blessures émotionnelles, Marvin devient le metteur en scène de sa propre vie. L’enfant se regarde adulte comme l’adulte se souvient de l’enfant. Une sorte d’inspiration mutuelle où l’on prend dans son passé la substance nécessaire à son futur. Exploiter sa différence au lieu de l’insulter. Jouer sa vie comme la vie se joue de nous. Simplement le conte moderne d’un garçon en pleine métamorphose, qui à la sortie prématurée du cocon familial, tente d’être ce papillon en devenir. Une échappée à sa condition sociale comme pour transformer ce « mauvais départ » en une renaissance : le changement de nom en est quelque part une parfaite représentation. Un cheminement passant par cette passion naissante pour le théâtre et l’aspect libérateur de la création. A cela, s’ajoute la découverte d’un monde plus superficiel, une libération plus sexuelle et une nouvelle compréhension intérieure, l’espoir persévérant sans jamais donner dans la psychologie de comptoir.
Et au-delà même de la question de la différence et du déterminisme, Anne Fontaine condense ces instants fugaces pour faire sortir des ténèbres la beauté de l’émancipation. La caricature du milieu prolétaire (ne serait-ce que dans les apparences très Tuche et Bidochon) et du harcèlement scolaire (à l’allure d’une campagne du ministère de l’éducation nationale) pourrait à ce titre paraître excessive, et ce sans compter sur cette volonté de vouloir briser progressivement les faciès trompeurs et donner toute leur profondeur aux personnages. Caricaturer pour mieux en extirper la sincérité en somme. Car de ce manque de mots pour dire les sentiments, de cet obscurantisme à regret, la figure du père notamment (Grégory Gadebois absolument sensationnel) s’en retrouve traversée par cette incompréhension culturelle dépassant l’écorce naturelle de la Faute d’Amour. Puisque tout n’est qu’une question d’éducation au fond dans Marvin. Il s’agit véritablement de chercher ce qui fait de nous un Homme, qu’il s’agisse de l’éducation parentale ou du regard des autres sur nous-mêmes. Des rencontres qui permettront à Marvin de vivre son émancipation et faire jaillir l’humanité à travers ces figures de bienveillance.
Des personnages secondaires qui prennent alors toute leur importance, et ce notamment grâce à des comédiens tout en justesse et générosité : Vincent Macaigne y est d’une douceur et d’une retenue assez remarquables, tout comme Charles Berling et Isabelle Huppert, qui n’a jamais aussi bien joué son propre rôle. Mais plus encore, c’est bien Catherine Mouchet la figure de grâce et de délicatesse de Marvin, cultivant l'ambiguïté dans ses échanges de regards empreints d’une infinie tendresse. Des personnalités qui ne cessent de mettre en valeur Finnegan Oldfield et Jules Porier, en parfaite symbiose dans l’évolution de Marvin à Martin, de l’intériorité à l’expressivité. Et en cela, l’écriture y trouve une résonance assez intéressante en mettant des mots sur ce qui est difficile d’exprimer, et notamment dans le parcours des personnages en commune mutation : des visages qui crient, fuient, et changent d’opinion à mesure que leur fragilité se révèle à nous.
Comme pour laisser le silence s’imprégner de nos émotions, Marvin se veut conter une humiliation fédératrice à regard d’enfant, puis la prise de recul conséquente à cette différence acceptée. Son désespoir rédempteur nourrit en quelque sorte le spectateur : de scènes insupportables (notamment celle des toilettes ou le récit de « l’expulsion » du bébé) en séquences du cœur, toute sa force, sa violence, son émotion résident dans cette sincérité de chaque instant. Une œuvre qui a réussi à fertiliser mon impatience quant au projet Gueule d’Ange, où l’on pourra sangloter sur la vision d’une enfant sombrant dans les déboires d’une absence maternelle, affrontant sa solitude et le manque d’affectif. Quoiqu’il en soit, Marvin aura laissé mon cœur noyé dans des larmes de bienveillance, avec ce même sentiment que j’éprouve à l’écoute d’un Another Love. Car, au final, tout n’est qu’une question d’amour à perte et de nouveaux départs.
But all my tears have been used up…