A l’occasion des quarante ans de la sortie du film dans les salles américaines, Massacre à la Tronçonneuse se paye une nouvelle jeunesse avec un lifting de luxe, rien de moins qu’une restauration en 4K. Présenté en séances spéciales à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes 2014, cette version en haute qualité semble valoir le coup pour que Carlotta Films, son distributeur, décide de le ressortir dans quelques dizaines de salles françaises en cette fin du mois d’octobre. Pile pour Halloween. Avant d’accuser la restauration de n’être qu’un argument marketing pour surfer sur le succès légendaire du film, il convient de signaler que c’est Tobe Hooper, son créateur lui-même, qui se trouve à la tête de cette numérisation haut de gamme. En effet, il a pleinement supervisé la restauration et s’est exclusivement servi de son matériau original, donc de la pellicule 16mm du film. Cette pellicule, c’est ce qui donnait tout l’intérêt au film avec son image sale, brute, très granuleuse et ses dégradés infimes de couleurs maculées qui donnaient une ambiance visuelle vraiment particulière. L’ambiance appropriée pour un film d’épouvante et d’une radicalité sans nom comme celui-là. Alors quand l’annonce d’une restauration en 4K fût lâchée, les fans les plus primitifs du film ont crié au scandale, s’inquiétant d’un rendu magnifique mais trop lisse pour coller à l’ambiance du film. Il est temps de vous rassurer, Tobe Hooper ne nous a pas déçus avec cette reconversion qui conserve son approximation mais se voit sublimée par une numérisation de toute beauté.
Quarante ans ont passé depuis que Tobe Hooper a choqué les mœurs, enchaîné les interdictions de diffusion (la Finlande n’a eu accès au film que vingt-cinq ans après sa sortie) mais a surtout vu son long métrage devenir une référence incroyable dans la culture cinématographique de genre mais également de la culture pop. Le film fût victime de nombreuses censures, polémiques et du débat qu’il a instauré dans la société sur le bien-fondé de montrer frontalement la violence. Paradoxalement, ce sont ces interdictions et ce bouche-à-oreille vibrant qui a contribué au succès vibrant du film. Les gens hurlaient de terreur lors des projections du film, la dramaturgie du long-métrage laissant place à une sorte de simili-reportage qui rendait l’œuvre terriblement crédible pour l’époque. La légende veut qu’à Cannes où il fût présenté en 1974, un réalisateur avait appelé les services de sécurité pour annoncer qu’une bombe se trouvait dans la salle. Motif de cette évacuation improbable, ce même réalisateur n’avait simplement pas réussi à obtenir une place pour la projection. La légende n’en a jamais dévoilé le nom.
Second long-métrage de Tobe Hooper après le « hippie movie » Eggshells (1969), le réalisateur est parti sur des terrains moins hallucinatoires, et plus réel en s’inspirant directement de l’un des plus célèbres tueurs des Etats-Unis, Ed Gein qui avait auparavant inspiré Robert Bloch et Alfred Hitchcock pour Psychose (1960). Profanateur de tombe, assassin cannibale empailleur et nécrophile, Ed Gein n’a été reconnu officiellement coupable que de deux meurtres mais les enquêteurs ont retrouvé tellement de restes de corps chez lui qu’il a été impossible de les attribuer à des violations de sépultures ou de vrais meurtres. Ed Gein était tout ce qui évoquait le Diable sur Terre. En s’inspirant de ce personnage pour créer Leatherface, Tobe Hooper s’intéresse à la figure moderne et glauque du tueur en série dans une Amérique profonde, encastrée dans une crise économique qui a révélé les plus viscérales et terrifiantes pulsions de l’homme. Il n’a nullement été question d’un véritable fait ayant vu une bande d’amis décimés par un homme armé d’une tronçonneuse. Il ne s’agit là que de l’imagination la plus malsaine de Tobe Hooper. L’anecdote est connue mais elle mérite d’être rappelée, le réalisateur a attribué la tronçonneuse à son personnage central tout simplement car il l’a trouvé dans une quincaillerie et que le bruit de la machine lui semblait être plus terrifiant que n’importe quelle autre musique d’ambiance. Afin de renforcer l'aspect cinéma vérité et documentaire, les tronçonneuses fonctionnaient vraiment sur le tournage dans le but d'obtenir un rendu sonore le plus proche possible de la réalité. Ce n’est pas pour rien que les acteurs ont évoqué des conditions de tournage psychologiquement éprouvantes.
Avec le recul d’aujourd’hui, bien sûr que le film sent le fauché à plein nez. Mais pour l’époque, c’est une vraie claque visuelle car il contient une ambiance, une gestion de l’épouvante et une mise en scène qui font toute la réussite du film. Les meurtres s’enchaînent sans pathos, avec une rapidité déconcertante comme en témoigne cette scène culte où Leatherface apparaît pour la première fois, armé d’un marteau, assénant un coup monstrueux sur un personnage du film et le tirant à l’intérieur d’une pièce avant de refermer brutalement la porte. Claque monumental. A son propos, bien qu’inspiré de Ed Gein, Tobe Hooper s’est également inspiré du Monstre de Frankenstein pour représenter ce monstre géant au grand cœur, victime de son contexte familial, économique et local. Après avoir donc filmé précédemment une troupe de hippies dans un film anxiogène à souhait, Tobe Hooper s’évertue à filmer une bande d’amis animé par un véritable souffle de contestation et de liberté sexuelle. Le voir les maltraiter à ce point, c’est un peu voir Tobe renier ses convictions hippies. Lors d’un entretien, le réalisateur déclarera avoir été un fervent partisan du mouvement hippie avant de se rendre compte que ce n’était pas la bonne méthode pour faire évoluer les choses dans la société. Ce qui surprend par-dessus tout, c’est qu’il est l’un des premiers cinéastes à mettre en scène avec brutalité la vie et la mort d’un garçon atteint d’un handicap physique. Ce postulat conférera directement l’empathie du spectateur malgré son côté râleur et lourdingue. Mais c’est véritablement le personnage de Sandy qui suscitera toute notre empathie et notre soutien pour qu’elle puisse se sortir de l’horreur dans laquelle elle est entrée. La scène du repas familial étant l’apogée du mauvais goût au cinéma. Une séquence glauque et terrifiante qui marquera à tout jamais les esprits. Les plans d’inserts sur les yeux de son actrice reflètent un certain hommage au Giallo de Argento. Si l’actrice se tire de cette situation avec une facilité quelques peu déconcertante, le dénouement du film est une fin ouverte laissant Leatherface se mettre en colère au milieu de la route tandis que la jeune Sandy quitte le Texas à l’arrière d’un pick-up. Les oreilles des spectateurs entendent encore résonner les cris aiguës de la jeune Marylin Burn, qui nous a malheureusement quitté au mois d'août de cette année.
Massacre à la tronçonneuse est devenu un classique instantané du cinéma d’horreur des années 70, et continue de traumatiser chaque nouvelle génération de cinéphiles. Sorti d’un coin paumé du Texas, Tobe Hooper a littéralement giflé Hollywood et son cinéma en classique en optant pour une mise en scène qui oscille effroyablement bien entre la fiction romancée et le documentaire brut. Impossible de rester de marbre devant ce premier meurtre. La description hyperréaliste et quasi documentaire de charniers et d’abattoirs débouche sur une atmosphère surréaliste de sauvagerie, d’hystérie et de cauchemar, où Tobe Hooper se permet toutes les folies, osant des cadavres exquis et des calembours visuels du plus mauvais goût. Le tournage est un cas d’école tant le réalisateur a joué la carte du réalisme à fond, usant de conditions désagréables (heures étalées, chaleur étouffante, etc.), d’acteurs allant jusqu’à se blesser et d’accessoires morbides, comme ces vrais os d’animaux qui jonchaient la maison des horreurs. Pour que les acteurs suivent l’évolution de leur personnage, il a même tourné l’ensemble du film dans l’ordre chronologique, fait rare aujourd’hui pour être signalé. Toute cette aura autour du tournage et du sujet du film confère une véritable légende à cette production fauchée d’un réalisateur qui n’était pas particulièrement fan de cinéma de genre mais qui devait réaliser une production au plus vite. De sa propre bouche, il avoue qu’il n’y a que dans le cinéma d’épouvante que l’on peut réaliser avec brio un film relativement libre, sans casting et avec peu de moyens de mise en scène. Il ne faut que du son et des images chocs. Ça n’a jamais été aussi vrai.
Massacre à la tronçonneuse est un slasher comme on n'en fait plus aujourd’hui. Il a été le premier a véritablement démocratisé ce sous-genre de l’épouvante et en est assurément la référence. Si le slasher existe toujours par le biais de quelques DTV, aucun film depuis Scream n’a su impacter à ce point la culture populaire. Avec ce film culte de Wes Craven qui offrait là une certaine dérision du genre, on pouvait y voir comme une manière de boucler la boucle et de ne jamais plus trouver la puissance dramaturgique et terrifiante de ces films qui ont véritablement bouleversé le genre, le cinéma, la culture et l’imaginaire collectif. Toutes les suites et les remakes de Massacre à la Tronçonneuse n’auront jamais ce goût et cette terreur des débuts, et ne font que confirmer l’entière réussite d’un film précurseur qui a véritablement lancé la vague de films tueur en série. Tombé définitivement dans l’oubli après Poltergeist, toutes les générations de ces quarante dernières années et celles qui arriveront n’oublieront pourtant jamais que Tobe Hooper a laissé une empreinte incroyable dans le cinéma de genre. Stanley Kubrick lui-même avait évoqué à la presse et à Tobe qu’il avait « adoré » Massacre à la Tronçonneuse. Tobe s’amuse encore de ce tournant dans son existence : «Il m’est pratiquement impossible de faire la connaissance de quelqu’un sans qu’il ne soit question du film. On m’a souvent demandé si je n’en avais pas assez, mais c’est le contraire. Je suis toujours aussi flatté, et je raconte les histoires qu’on me demande avec plaisir.». Et on ne vous le demandera jamais assez.