La première fois que j'ai vu Massacre à la tronçonneuse, c'était en K7 vidéo. La bande magnétique était presque devenue transparente suite aux visionnages successifs. Du coup, j'ai longtemps vécu dans la certitude que le film était en noir et blanc.
La jaquette de l'édition René Chateau, je l'avais dérobée dans la vitrine de mon vidéo-club et elle doit encore être scotchée, avec soin, au-dessus de mon lit, chez mes parents.
Et quand, parfois, je m'assoie pour penser à ce film, ce qui m'arrive fréquemment, je n'ai que des flashs.
Comme dans la scène d'ouverture, quelques flashs qui focalisent sur des détails macabres, larsens, le son strident de la scie musicale qui ripe sur un fémur, puis l'exposition par le menu d'un cadavre profané, maquillé en statue de chairs putréfiées.
La scène semble s'éterniser dans mon souvenir alors qu'elle est assez courte. L'inconcevable voyeurisme blasphématoire et sa gêne insidieuse, hypnotique et, par le truchement désaxé d'un mouvement de caméra anodin qui tourne au malsain, s'opère la mutation.
Devant tes yeux ébahis, la carcasse semble scellée dans une grimace de douleur, un fatras de chairs transformé en œuvre d'art qu'on dirait du Bacon.
Le peintre rosbif, pas le cochon.
La dégénérescence d'une Amérique qui se dévore elle-même, comme un ogre croque ses enfants.
Une famille en sommet de la chaîne alimentaire et Leatherface en bras armé.
Être l'invité surprise d'un festin où tu seras le plat de résistance.
Tronche-de-cuir porte un masque de peaux humaines comme une totale négation de son humanité, reflet terrifiant de la peur qu'il inspire, sauvage et viscérale.
De celle qui fait hurler comme au premier jour de ton existence.
Son masque, et c'est son côté féminin, confectionné par ses soins, il l'a cousu à la machine puis, fignolé à la main.
Il s'exprime par gestes et le son de sa voix n'est que profondes et douloureuses éructations.
Tueur insatiable, il est marié à sa tronçonneuse, prolongement phallique-mécanique qui découpe les victimes qu'il traque inlassablement.
Sa fureur est sa respiration.
Un rien l'habille, un éternel tablier pour pas se tacher, une jolie cravate qu'il n'oublie jamais de nouer autour de son cou bovin, il est l'archétype du monstre moderne, le croque-mitaine du Texas, l'homme-machine-animal.
Massacre à la tronçonneuse comme béance pour l'Amérique moderne, revenue de l'Enfer Vert et traumatisée par son désir d'omnipotence contrarié, qui trouve en son sein le prédateur ultime, une famille de rednecks anthropophages comme entité indissociable et son chevalier noir, habité de haine, masqué sous ses oripeaux de peau.
J'ai revu Massacre à la tronçonneuse et il est en couleurs, en fait.
Bon appétit.