C’est sans conteste parce qu’il en était doté, que Napoléon a élevé la chance au rang de compétence dans les processus de recrutement de ses officiers. C’est sans doute pourquoi il demandait à ses généraux, avant de les promouvoir, s’ils avaient de la chance ? Match Point explore le même concept.
"I don't care if he's great. I just hope that he's lucky" Cette ligne de dialogue résume parfaitement l'esprit de ce film. Il (ou elle) est né(e) sous une bonne étoile, est sans doute une expression que tout à chacun aura entendu. Si elle fait référence à l’individu à qui tout semble réussir, souvent protégé des aléas de la vie, ne nous fions pas aux apparences. En effet, ce chanceux a développé, consciemment ou inconsciemment, une véritable intelligence de situation que l’on retrouvera chez Chris Wilton (Jonathan Rhys-Meyers) dans Match Point.
Match Point aurait très bien pu être réalisé dans les années 50/60, quand le film noir était à son apogée ! Woody Allen, l’un de mes réalisateurs préférés, rend le plus beau des hommages au genre. Et si son nom n’apparaissait pas dans le générique d’ouverture, vous ne sauriez pas que c'est lui qui l’a réalisé. Prenant une pause dans ses tournages à NY, la ville qu’il aime le plus, pour tourner à Londres, supprimant toute trace de ses troubles névrotiques bien connus et supprimant même la référence à son propre personnage dans la performance de Jonathan Rhys-Meyers, Match Point devient un film très européen. De plus, le film commence de manière trompeuse, comme une étude de personnage avec des tons comiques et des mouvements toujours si subtils vers le côté sombre de l’amour.
Un quadrilatère amoureux, le plus ancien dispositif d’intrigue amoureuse, s'installe rapidement. Chris Wilton (Rhys-Meyers), un joueur de tennis à la retraite, devient instructeur de Tom Hewett (Matthew Goode). Les deux hommes trouvent qu’ils ont de nombreux intérêts communs, tels que l’amour de l’opéra et des œuvres de Dostoïevski. Ils ont un autre intérêt commun, mais patience ... j’y arrive. Tom invite Chris pour une soirée à l’opéra et le présente à sa famille et à sa sœur Chloé (Emily Mortimer), qui tombe amoureuse de lui et qui plus tard lui offre la sécurité familiale sous toutes ses formes.
Sentant une opportunité de gravir les échelons sociaux, il commence une relation amoureuse avec elle juste au moment où il rencontre Nola Rice (Scarlett Johansson), une actrice américaine débutante, avec qui il flirte ouvertement jusqu’à ce qu’il réalise qu’elle est la petite amie de Tom. Une liaison clandestine entre Chris et Nola commence. Elle lui déconseille car cela ruinerait ses chances à lui de réussir et puis pour elle, car elle est fiancée à Tom, mais le désir est plus fort et la relation va plus loin. Cependant, Nola sort du quadrilatère amoureux, Tom épousant finalement une autre femme et Chris épousant Chloé. Les choses se compliquent lorsque Chris retrouve Nola.
Match Point contient tous les codes du film noir. Le film commence sur un rythme détendu, puis prend une forme sinistre dans sa deuxième moitié. Woody Allen détourne l'attention du spectateur, pour mieux le saisir. Il évite tout mélodrame romantique et montre ce qu'il se passe réellement dans un couple pris au piège d’une liaison extra-conjugale. L'éblouissement initial et la passion consommée, se transforment peu à peu en routine puis en déclin douloureux. Nola initialement habillée en blanc (visible dans l'affiche du film) semble être en contrôle total, jusqu’à ce que Woody Allen le lui retire habilement. Tout s’effondre lentement autour d'elle, vêtue de couleurs de plus en plus sombres. Chris la convoite tellement au début, que ça en devient une obsession. La question pour lui, c'est de savoir s’il peut choisir l'amour plutôt que le statut social et c'est ça le dilemme de Match Point. C'est aussi de savoir si la balle de tennis tombe du bon côté du filet ou non.
Il y a des moments où vous vous demandez si Woody Allen est passé en mode pilote automatique ou s'il s'est engagé dans un point de non-retour. Woody Allen a toujours mis ses fans à l’épreuve (et même ses fans les plus hardcores comme moi) avec des films plus ou moins dispensables succédant à des petits bijoux d'inventivité. Avec Match Point, qui entretient un lien fort avec Crimes et Délits, il prouve que son génie est toujours là. En effaçant toutes les références à son style comiques excentrique, il conquiert un nouveau public prêt à accepter son style si particulier. Match Point est un excellent film, l'un des tout meilleurs de Woody Allen, peut-être pas LE meilleur (Annie Hall et Manhattan sont indétrônables), mais on s'en rapproche sacrément. C’est dire à quel point j'aime ce film.