Mate
6.2
Mate

Film de Jung Dae-Gun (2019)

Traduit du japonais, le terme Mate qualifie une relation amicale décontractée qui peut sous-entendre une activité sexuelle sans véritable engagement, en anglais friendly-sex ou sexe entre amis. Une notion désormais admise car pratiquée par des faux couples qui se retrouvent régulièrement pour des relations intimes mais n’envisagent pas d’avenir commun. Autrement dit, une situation favorisée par des modes de vie ou les attaches réelles peuvent être considérées comme superflues, inutiles voire handicapantes. Concrètement, des comportements favorisés par la déshumanisation de nos relations de manières générales. En cause, bien entendu, l’envahissement de nos vies par des machines, ordinateurs, automates, robots, etc.


Joon-ho (Sim Hee-Seop) est un jeune trentenaire, photographe indépendant, qui vit de cette façon, l’œil le plus souvent rivé devant un écran qu’à observer ses semblables. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des relations avec ses semblables, mais de façon éphémère et sans que cela l’émeuve plus que ça. Ainsi, au début il se fait larguer par une jeune femme avec qui il se comporte avant tout en colocataire. On serait tenté de dire que son potentiel affectif s’exerce essentiellement vers son animal domestique nommé Fraise. Il faut dire qu’il a choisi un animal pour le moins inattendu et original (comme si ce point constituait ce qu’il a trouvé de mieux pour se distinguer), qui trouvera pour compagne Raisin appartenant à la belle Eun-ji (Jung Hye-Sung) qui entre bientôt dans la vie de Joon-ho. Eun-ji et Joon-ho étant de la même génération, on comprend qu’ils ont des mentalités assez proches. La rencontre se fait par l’intermédiaire d’une application sur téléphone portable. Eun-ji se méfie rapidement d’un éventuel « plan cul » (c’est son expression) et coupe court. Mais les hasards des relations mettent les jeunes gens en relation de travail, obligés de se côtoyer comme s’ils ne se connaissaient pas plus que ça. Le simple fait de se côtoyer montre leur attirance mutuelle. Mais, est-ce du désir ? De l’amour ? Peuvent-ils se trouver sur la même longueur d’ondes alors qu’aucun des deux n’envisageait du sérieux ?


Ce film montre que la naissance des sentiments reste quelque chose de relativement mystérieux que personne ne maitrise. Quelque chose qui déstabilise ces représentants non pas de la jeune génération mais de la génération montante, ceux qui arrivent à maturité et cherchent leur place dans une société en mutation extrêmement rapide. Ce qu’ils espèrent avant tout ? Une place dans le monde du travail, parce que la société émergeante est fondée sur la place au travail avant tout (avec dominante pour des compétences techniques). Le reste semble considéré comme accessoire. Une attache familiale est une sorte de fil à la patte qui ne peut que gêner : voir ce qu’il reste des relations de Joon-ho avec sa mère. En ce sens, ce film me semble intéressant car révélateur de l’évolution de nos sociétés fondées avant tout sur l’efficacité, la rentabilité. Pour être ou rester dans la frange de la société qui s’en sort, mieux vaut adopter les comportements adaptés. Ainsi, Eun-ji fait des rencontres à l’aide d’une appli qu’en fait elle teste en tant que journaliste, parce que ce mode de rencontre est de plus en plus courant. De ce fait, elle rencontre quelqu’un qui ne cherche pas du sérieux, quelqu’un déjà habitué à l’instabilité au point d’en faire une sorte de norme. Les aléas de leurs vies vont mettre Joon-ho et Eun-ji en contact beaucoup plus réguliers que ce qu’ils prévoyaient. Et… ce qui devait arriver arrive. Ils réalisent qu’ils se plaisent mais qu’ils s’y sont très mal pris. Pourront-ils faire avec leur espèce de passif ou bien devront-ils mettre cette expérience en mémoire pour tenter de faire mieux une autre fois ?


Parfois surprenant, ce premier long métrage (1h32) signé Jung Dae-gun fait une sorte d’état des lieux des relations sentimentales à l’heure des rencontres par l’intermédiaire des applications sur portable. Ce qui compte bien entendu n’est pas le simple fait que les deux protagonistes principaux utilisent ce mode de rencontre, mais la généralisation des moyens de communication virtuels qui interfèrent avec les relations de la vie de tous les jours. Les tentatives vis-à-vis de différents partenaires, les approches plus ou moins maladroites, les hésitations ou revirements ne sont pas spécifiques à notre époque. L’approche physique, les jeux de la séduction, la gestuelle, les mots, tout cela existe toujours et dépend des individus (tous deux charmants au demeurant), mais l’isolement des uns vis-à-vis des autres à cause des pratiques à tendance numérique ne peut plus être négligé. La question est de savoir où cela peut nous mener ? Réponse du réalisateur coréen : tout reste à décider. Ma réponse : espérons que nous décidons encore. Autrement dit, ce film peut être vu comme une comédie romantique révélatrice de notre époque. Il peut également être vu comme une sorte de signal d’alarme. Cela dépend de toutes et de tous : il reste de notre volonté de choisir et construire nos relations, que le monde évolue selon nos besoins et non les idées de quelques individus qui dominent la société par des compétences bien spécifiques.


Le réalisateur retient l’attention de son public avec un scénario qui ménage son lot de surprises, une manière agréable de capter l’air du temps avec savoir-faire, en mêlant vies personnelles et relations de travail. L’ensemble présente un certain charme et donne matière à réflexion.


Vu au 13ème festival du Film Coréen à Paris, le 2 novembre 2018.

Electron
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le 10 nov. 2018

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