Un point vert qui clignote à l’écran, des lignes de codes qui défilent avec en arrière-plan une conversation mystérieuse, des lettres en vert qui tombent de toute part et affichent le titre, les quelques notes de l’intro musicale culte…
Immédiatement, je suis happée par ces quelques premières secondes, le sourire aux lèvres, la nostalgie plein la tête et le regard clair d’une adulte qui a traversé son lot d’épreuves depuis 1999, sortie du premier opus de la franchise qui a marqué de son empreinte le genre du blockbuster.
Une autre personne qui a traversé son lot d’épreuves et de changement, c’est bien entendu Lana Wachowski, particulièrement dans sa vie personnelle et en tant que figure publique après son coming-out en tant que femme transgenre. Cela plusieurs années après avoir achevé sa trilogie qui en aura fait une réalisatrice de premier plan, aux côtés de sa sœur Lily, elle aussi transgenre.
Œuvre qui a fait l’objet de nombre de débats et d’ouvrages pendant des années sur son texte et sous-texte, revoir le premier Matrix aujourd’hui permet d’observer les réflexions et les doutes que les deux sœurs exprimaient déjà envers leur identité de genre, que ce soit à travers les symboles, les costumes ou les réflexions sur la nature de la matrice.
Ainsi, « Matrix Résurrection » est à mon sens moins une suite, et en réalité la réflexion personnelle d’une réalisatrice sur ce que son œuvre signifie véritablement pour elle et la façon dont elle la perçoit aujourd’hui.
Tout du long du film, elle déconstruit son univers et ses personnages, les remanie et leur redonne la place qu’ils ont dans son esprit à ce stade de sa vie, aussi bien à un niveau philosophique, mental et visuel.
Dès lors, il paraît presque impossible de véritablement parler de Résurrection sans entrer dans la zone divulgâchage, et encore plus de l’apprécier réellement sans accepter cette prémisse, car cet esprit de déconstruction se poursuit tout du long, et pas seulement dans la première demi-heure. Sans oublier que le film nécessite une bonne connaissance de la trilogie pour réellement en apprécier tous les symboles et les rappels à ce passé.
En soi, il s’agit d’un acte de création purement radical, tout en rendant une copie cohérente et fluide, et surtout divertissante.
Néanmoins, cela implique que de nombreuses personnes seront laissées sur le bord de la route, dans l’incapacité ou dans le refus d’accepter cette approche dans un blockbuster, ce qui provoquera certainement colère et frustration chez certains, mais un émerveillement probable chez d’autres.
En tant qu’œuvre intimiste, il trouvera réellement écho auprès de celles et ceux qui seront sensible à cette approche et pour qui la trilogie Matrix possède un caractère personnel, au-delà de l’aspect cinématographique, et qui apprécient une nouvelle approche sans concession et engagée de sa créatrice.
« Matrix Résurrection », c'est avant tout l'œuvre d'une réalisatrice qui avait besoin de se confier et de revenir sur son premier grand succès, d’une époque où elle était une personne différente. Une démarche courageuse et forte, à laquelle sa sœur Lily n’a pas souhaité participer pour cette raison, tellement ce quatrième opus demandait à toutes deux de se mettre à nu, ce qui est tellement compréhensible considérant son parcours.
Il est évidemment possible de le traiter sous l'angle formel et objectif d'un film d'action à grand-spectacle, mais on perd alors beaucoup de la puissance émotionnelle qui anime les personnages et les décisions qu'iels prennent, et les liens qui les unissent à travers toute la saga et au-delà.
Pour ma part, « Matrix Résurrection » marque mon expérience en salle la plus puissante depuis de nombreuses années, tant j’ai aussi repensé à la façon dont j’ai moi-même évolué, les aspects qui ont fondamentalement changé depuis mon adolescence, la façon dont je perçois aujourd’hui le monde, et ce qui a réellement de l’importance à mes yeux aujourd’hui.
Il y a tellement de choses dont j'aimerais parler, tellement de détails et de choix qui ont fait briller mes yeux et illuminé mon cerveau, mais en fin de compte, ce n'est pas là l'essentiel, c'est l'émotion que j'ai ressenti durant les 2h30 de cette oeuvre qui compte le plus à mes yeux.
Si « Matrix » était une expérience qui a défini ma jeunesse, « Matrix Résurrection » devient aujourd’hui une œuvre qui définit ma vie d’adulte, et qui a su ranimer quelque chose d’important en moi, et nécessaire en ces temps difficiles.
Merci, Lana. Infiniment.