La résurrection de vieilles licences, ça se passe rarement bien. Pour un Fury Road ou un Blade Runner 2049, on a une douzaine de Jurassic World, Ghostbusters 2016, l'Arme Fatale 4, Robocop, The Predator, Terminator Genisys, et des brouettes de Star Wars.


Mais naïf comme je suis, j'ai quand même voulu croire au retour de Matrix. Avec une bonne partie du cast au rendez-vous, l'une des Wachowski aux commandes, et des interviews futées de Keanu qui vendait bien son affaire, les étoiles semblaient s'être alignées pour un retour en grâce de la série après un Matrix Revolution très bourrin et très con.


Ce que je ne savais pas encore, c'est qu'il s'agit d'un film de commande que la Warner aurait fait avec ou sans Lana. S'est-elle portée volontaire pour préserver l'intégrité artistique de son bébé ? Voulait-elle juste foutre un taquet à la maison de production avec un projet Meta imbitable, pour prouver qu'en faire une suite/reboot était une mauvaise idée. Si c'est le cas, le film est une réussite, car c'était effectivement une mauvaise idée.


Malgré tout, le matériau d'origine est si bon que ça reste un échec regardable et même souvent plaisant, grâce à l'incoercible pouvoir de la nostalgie.


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Resurrection aurait pu n'être qu'un Matrix de plus où l'on reprend l'histoire là où l'avait laissée, après la trêve, la fin de la guerre, le sacrifice du prophète aveugle qui libéra les survivants de Zion de l'oppression mécanique. On aurait sûrement parlé d'une nouvelle Matrice et de la libération des pauvres piles électriques encore asservie à ses rouages digitaux. Avec une bonne histoire et suffisamment d'idées originales, c'est le film que j'aurais voulu voir.


Resurrection aurait pu n'être qu'un reboot de Matrix avec les même acteurs, un peu ridés et grisonnants, les mêmes enjeux et la même structure, avec des petites touches de neuf pour s'efforcer d'impressionner encore dans un monde où les effets numériques ont déjà affiché les images les plus folles, sans plus se demander si elles méritaient d'être montrées.


La résurrection se glisse entre ces deux propositions et les envoie dans le décor. On prend les mêmes, et on commence quelque chose de très différent.


Car s'il y a bien une chose dont on ne peut pas accuser Résurrection, c'est de se reposer mollement sur ses acquis en foulant les sentiers balisés par les premiers films. Au lieu de ça, Lana a eu envie de foutre les pieds dans le plat pour pondre un brûlot introspectif, plein de commentaires sociaux et de réflexions sur l'impact culturel de la trilogie originale.


o o o


Et pourtant, j'ai rarement vu un film faire autant de clins d'oeil appuyés à ses aînés, avec des douzaines de références d'une utilité contestable, du recyclage de personnages et de la régurgitation de scènes, de plans, de mouvements de caméra. C'est parfois justifié et bien vu, mais souvent amené avec la subtilité d'un tractopelle et j'ai du mal à ne pas y voir de l'opportunisme.


Le plus gros problème de toutes ces scènes copiées et revisitées, c'est qu'elles font vraiment pâle figure comparées aux séquences originales. Et le film est tellement truffé de clins d'oeil qu'il est impossible de ne pas comparer en permanence, et de ne pas se dire que tout fait faux, un peu cheap, comparé à la trilogie qui a étonnamment bien vieilli. Ce nouvel opus manque aussi énormément de souffle, d'envergure et d'enjeux dramatiques.


Parmi les scènes imitées ou parodiées : la première apparition de Morpheus, le combat dans le dojo, la confrontation contre Smith. Ça réutilise des décors, des plans de caméra, des mouvements, des effets spéciaux, mais le charme n'opère pas. Et c'est normal : on a déjà vu tout ça 20 ans plus tôt, en bien meilleure forme.


Lana a d'ailleurs déclaré que "l'une des premières règles que je me suis fixées pour Matrix Résurrections, c'est qu'il n'était pas question de revenir en arrière". Lol.


Même les scènes d'action, combats et poursuites ont du mal à exciter : les chorégraphies ont l'air correctes mais la réalisation pleine de cut les met rarement en valeur, et c'est bien le premier film estampillé Wachowski dans lequel j'ai eu à me plaindre de la mise en scène. J'ai encore bien envie de mettre ça sur le dos de Lana qui est désormais seule derrière la caméra, vu que Lilly a eu la présence d'esprit de décliner le projet.


Je comprends aussi qu'il est plus difficile aujourd'hui d'impressionner dans un film d'action qu'au début des années 2000, mais ici, aucune scène ne sort vraiment du lot. On est très loin du combat dans le château de Matrix Reloaded ou de cette orgamisque course-poursuite sur l'autoroute.


Le constat le plus triste est que les meilleurs moments de Résurrection sont dans ses brefs Flashback.


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Le premier Matrix esquissait deux univers beaucoup plus vastes et touffus que ce qu'on en voyait. Ici, on se sent un peu à l'étroit, autant dans la Matrice et sa parodie de Corporations 2.0 potache que dans le monde réel post-apo en CGI trop colorés, avec des robots Disney et des IA bienveillantes. Tout ça fait outrageusement faux et kitch, comme dans une série Syfy. Toutes les scènes avec Sati dans la forêt sont à vomir.


Bien plus encore que dans la première trilogie, les moments dans le monde réel sont très clairement le maillon faible, mais on y passe heureusement assez peu de temps.


Ca vient aussi de la direction artistique beaucoup moins épurée : les personnages ont des tonnes de trucs sur la gueule et ont tous des tatouages, les robots sont affreux, les décors plein de couleur en font trop. Les deux premiers films gardaient une certaine réserve, même dans l'exubérance, et qu'on ne vienne pas me dire que c'est parce qu'il ne voulait pas faire du neuf avec du vieux quand il s'agit juste de fautes de goût.


Encore une fois, les premiers films font beaucoup mieux avec beaucoup moins de moyens. Comme quoi, on peut s'habiller en cuir mais quand même preuve de retenue.


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Et pourtant, à côté de ça, le film est souvent malin et ne manque pas d'idées. Je risquerais de m'aventurer beaucoup trop loin dans le domaine du spoiler si je m'amusais à les citer, mais j'ai été agréablement surpris par la première heure du film et par toute la séquence d'extraction qui utilise avec inventivité son système de portes et de miroirs. Après ça, c'est la dégringolade.


L'idée même d'un Thomas Anderson de retour dans la Matrix, dépressif et drogué aux pilules bleues, est une bonne idée bien exploitée. Je ne suis pas fan du sous-texte anti-corporation dans un film produit par la Warner et réalisé par une Lana qui crache sur la main qui la nourrit, mais c'était tout de même bien senti.


C'est le changement de ton qui choque le plus. J'étais prêt à renoncer au sérieux monolithique de la trilogie originale pour embrasser la nouveauté et le changement, sauf qu'en guise de changement, on a droit à un script dans la veine de TOUT ce que nous chient les blockbusters depuis 10 ans, à savoir les blagounettes et les punchlines à la Marvel, intercalées avec une régularité de métronome, qui donnent l'impression d'assister à une machine de divertissement beaucoup trop bien huilée, sans aspérité ni grand relief.


Certaines redistributions de rôles fonctionnent bien et j'étais content de revoir Jonathan Groff après l'avoir découvert dans Mindhunter, mais rendez-nous Laurence Fishburne. Bref, rendez-vous l'année prochaine pour discuter de The Matrix Resurgences que va immanquablement commander Warner Bros.

Ezhaac
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le 28 déc. 2021

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