L'univers Matrix ressuscité dans les salles obscures après 20 ans peut-il offrir au spectateur une expérience au moins aussi forte que le souvenir de son histoire avec la trilogie et les sensations qu'elle a procurées chez chacun?
Le spectateur va-t-il retrouver cette sensation unique de se faire "matrixer"?
Ma réponse : oui. S'il le veut. S'il accepte de prendre la pilule rouge et refuse de se faire bercer par une narration classique.
Né en 99, j'ai toujours vécu dans un monde où Matrix a existé. Je l'ai découvert dans un monde où internet avait déjà envahi notre quotidien et modifié nos rapports sociaux, ce monde qui offrait déjà une lecture nouvelle à l'œuvre des Wachowskis.
Dans Matrix 4, la saga filmique est une saga de jeux vidéo immersifs de renommée mondiale bâptisée Binary, dont le concepteur est nul autre que Thomas Anderson (aka Neo aka Keanu Reeves). Le fruit de son imagination s'avère se confondre avec la réalité. L'identité de son héros (Neo) se brouille avec la sienne, à moins que ce ne soit l'image (convenue) qu'il se fait de lui qui se confonde avec son identité profonde, refoulée. Il va voir un psychologue.pathe, sorte de Chapelier Fou, pour l'aider à dissocier ce qui se passe pour de vrai et ce qui se passe dans sa tête. Pour le protéger de lui-même ou pour étouffer son instinct? "C'est l'heure du thé!" Vous voulez une cuillère?
Devant ce 4ème opus, je me retrouvais à la fois dans le quotidien dans lequel Thomas Anderson est coincé, et également dans l'équipage de Bugs, héros.ïne de la génération Y/Z, ambassadeur.rice de la Différence, chargé.e de réveiller Néo, tel le lapin (bunny) d'Alice au Pays des Merveilles mais à l'envers, en commençant par le sauver de la chute.
Est-ce pour le sortir du rêve ou pour nous plonger dans la fiction? Où est la fiction?
Je me reconnais donc dans les deux opposés : chez les normé.e.s et les anomalies.
Et cela n'a rien d'anecdotique car si on devrait définir une question qui englobe le film ce serait : comment vivre avec sa différence en société? Comment l'embrasse-t-on?
Et que vaut alors la différence quand elle devient une autre norme?
La différence peut-elle être définie quand elle s'inscrit dans un systeme binaire?
Alors Matrix 4 est-il un blockbuster différent des autres grosses productions de SF aujourd'hui? Différent d'un énième reboot de saga pour satisfaire la nostalgie de consommateurs moutons, coincés entre le désir de voir ce qu'ils n'ont pas et la peur de perdre ce qu'ils ont?
La première différence notable est qu'il interroge ces problématiques, comme si le film lui-même, à l'image de son héros, se posait des questions existentielles : pourquoi faire un Matrix 4? Quel enjeu? Quel intérêt face aux risques importants de déception? Comment ne pas "dénaturer" tout le propos de la saga sur la Différence en faisant un 4?
Une limite se pose alors rapidement : l'intérêt du film tient-il simplement là?
Se repose-t-il uniquement sur ce "jeu" avec le spectateur au détriment d'une trame narrative de 1er degré qui expliquerait la nécessité du réveil de Neo?
On retrouve le même manque d'enjeu narratif quant au besoin de réveiller Trinity. Neo est face à un dilemme : retourner dans l'œuf et ni Lui ni Elle ne seront réveillé OU aller la réveiller Elle au péril de sa vie, contre l'avis étouffant de son psy, et plus tard celui de la masse.
On suit l'action avec enthousiasme parce qu'on suit le propos général sur la Différence ; ici notamment celui de la transidentité, les Wachowskis semblant fondre la réalité dans la fiction, en miroir à Anderson dans la première partie du film.
Mais alors l'intrigue n'est motivée que par un objectif qui concerne la métahistoire. Dans l'histoire-même, l'objectif de Neo pour réveiller Trinity est obscur. Tout comme l'est celui de réveiller Neo de base. Quel enjeu? Pourquoi en prendre le risque? Et surtout une fois réveillés ils servent à quoi?
Ce que j'en pense : à rien. Ils sont là pour poser des questions sur le monde dans lequel ils se trouvent. Pas pour apporter des réponses et venir le changer. Quoique...
"Wake up!", nous chante le générique de fin. Être l'anomalie, le Bug, qui vient réveiller les Différents, c'est un enjeu qui n'a pour objectif que celui d'exister, et c'est la mission que semblent se donner les Wachowskis, arborant un symbolisme homérique qui s'affranchit pourtant du récit initiatique.
Pour parfaire le mythe, le film reste à l'image de son héros(.ïne?) : inclassable.