On prend les mêmes et on recommence ?
On pouvait évidemment se poser des questions sur la pertinence d'un quatrième opus de la saga Matrix. Les Wachowski ayant déjà poussé la trilogie dans ses derniers retranchements dans un troisième épisode plus poussif, cette suite serait elle un véritable nouveau projet ou une simple façon de regagner la confiance des studios en engrangeant un peu d'argent après une série de bides successifs ?
L'ouverture du film place le spectateur dans une position confortable, en terrain connu puisqu'elle reprend presque plan par plan celle du premier film. Serait-on coincé dans une "loop" ? Un remake déguisé façon Le réveil de la force ? Pourquoi tenter de faire du neuf avec du vieux se demande la protagoniste qui, comme le spectateur, a cette impression de déjà-vu caractéristique du piège de la matrice.
Meta-stase
Alors qu'on comprend qu'on était en fait dans un double emboîtement matriciel limite Nolanien (un programme dans un programme), Resurrections prend un virage quasi parodique en dynamitant sa structure de remake via ses personnages (Néo devenu dépressif ou un jeune Morpheus excentrique) et son écriture méta sur la conception de cet épisode. Mais si le film est réflexif ce n'est pas seulement car ses personnages sont en train de concevoir eux même l'histoire dont ils sont les personnages, mais surtout parce qu'il constitue une véritable critique du système des studios hollywoodiens.
Qu'est ce que la matrice sinon une fiction ? L'analyste l'a bien compris, lui qui a créé cette nouvelle mouture d'une illusion qui fait produire d'autant plus d'énergie aux humains qu'elle leur procure des émotions autant positives que négatives. Une illusion à la patine très numérique dont les paysages semblent trop parfaits pour être vrais (dixit Smith). Ce biberonnage au numérique et aux émotions préfabriquées, d'une pilule bleue qu'on avale quotidiennement n'est pas sans rappeler l'envahissement cancéreux de nos écrans de fiction par des produits formatés proposés par Disney ou Netflix qui, ironiquement, avait chacun leur bande annonce avant la séance.
Doit on alors abandonner toute fiction emprisonnante et débilitante pour revenir à la réalité ?
Non binaire
Si ce nouveau projet se place sous le signe de la non binarité ce n'est pas dans la lignée woke ou d'un quelconque militantisme transgenre (quoique le film le soit lui même en frôlant parfois la comédie ou le film de zombies) mais plutôt pour apporter une nuance au fameux choix pilule bleu vs. pilule rouge.
Alors qu'en 1999 l'informatique et l'IA avait encore un rôle de croquemitaine dans une vision manichéenne de guerre contre les machines, elle est devenue aujourd'hui tellement ubiquitaire qu'on défend plutôt un vivre ensemble. A Io, la nouvelle cité, les hommes et les machines cohabitent.
Mais la méfiance reste de mise envers les programmes comme l'analyste qui ne visent qu'un but de production. La matrice reste une prison tant qu'elle fait vivre une fiction standardisée et optimisée* pour récupérer de l'énergie (ou de l'argent si on continue à voir ici la matrice comme une métaphore de la machine à rêves hollywoodienne). Mais il est possible d'en reprendre les rênes et d'en récrire les règles comme veulent le faire Néo et Trinity en conclusion.
C'est aussi ce que fait l'équipe des Wacho (j'y inclus Mitchell, Tykwer et d'autres) depuis des années en restant hors des sentiers battus et en décalage dans sa façon de concevoir le blockbuster. Souvent incompris, on se demande même ici si le succès de Matrix premier du nom n'a pas été hasardeux ("on a amusé quelques gamins"). Mais cette nouvelle proposition prouve une fois de plus la conscience aiguë du système dans lequel ils évoluent et qu'ils se permettent de critiquer.
Les dernières paroles de l'analyste sont les plus pessimistes, convaincu que les humains sont malheureusement satisfaits de l'illusion normée, aux couchers de soleil factices constants, qui leur est proposée. Tristement, cette vision est probablement proche de notre réalité, il suffira de comparer les scores du nouveau Spiderman (déjà dans la stratosphère en une semaine) avec celui de ce nouveau Matrix pour savoir quelle pilule les spectateurs auront choisi...
* un monde "de merde", critiqué cyniquement par le mérovingien et où beaucoup de scènes se déroulent dans des toilettes !